Tagué: nouvelles technologies

Des trois Grâces aux 3DS : cultures web et faux semblants geeks au Louvre.

J’ai eu envie d’écrire cet article après avoir été invité par Anaïs Muré, dite @anamure, à tester le nouveau guide multimédia qui a tant fait parler de lui. Mais il faut bien l’avouer, même si cette expérience mérite un compte rendu que je vais vous livrer, il faut la remettre en contexte pour ne pas paraître trop dur sur ce résultat.

Un contexte lourd de sens?

Le musée du Louvre prend le numérique de plein fouet et semble même parfois fortement inspiré. Il faut reconnaître que certaines de ses approches font montre d’une grande compréhension de l’ère numérique et des cultures qui en découlent. Je trouve que ceci est vrai avec l’exemple des financements participatifs de ses projets de restauration ou d’acquisition, comme le très médiatique projet de financement des Trois Grâces. Une façon de faire qui renvoie forcément aux nouveaux modes de financements participatifs venus du web, mais qui promettent aussi un engagement des communautés sur les contenus qui est forcément très puissant (on accepte plus facilement de donner de son attention quand on a donné de son portefeuille, comme aime à le rappeler Robin Sappe).

Et parfois, le Louvre semble moins inspiré ou tout simplement oublie apparemment une donnée importante de l’équation qu’il tente de résoudre. On repense particulièrement à la Communauté Louvre, sorte de mini-site collaboratif dont beaucoup se seront demandé où était passée l’animation et ce qui pouvait bien être fait de ce projet.

Mais je ne m’étalerai pas plus sur ces projets qui mériteraient à eux seuls plusieurs articles chacun.

Ici, c’est le numérique in situ qui va m’intéresser. Une fois n’est pas coutume, je vais être un peu direct: les dispositifs présentés m’ont profondément déçu. J’ai retrouvé en eux cette sensation que je peux avoir lorsque, visitant un site d’institution culturelle, je me retrouve face à un site vitrine. Ces dispositions ne semblent pas avoir pris en compte les cultures numériques et leurs enseignements ; on sent, derrière une volonté forte de les mettre en scène, une impossibilité de les déployer réellement. La raison en incombe à n’en pas douter à la structure du Louvre, aux validations et allers-retours hiérarchiques qu’auront subi les projets. Nous n’avons pas trop parlé de ce point, mais connaissant l’institution il semble assez banal que de dire d’un projet avec une ambition telle que celle de la 3DS au Louvre aura forcément pâti de la chaîne décisionnelle. Mais ne connaissant pas assez bien les structures du Louvre, je vais arrêter là les supputations et en passer au compte rendu.

Écran tactile, ou écran de fumée?

Lors de la visite il y a plus d’un mois, nous avions eu l’occasion de passer derrière les palissades dressées à quelques endroits du Louvre pour voir les dispositifs numériques in situ, c’est-à-dire trois tables tactiles que les publics peuvent découvrir depuis quelques semaines maintenant. Sur le sujet abordé, l’une est assurément plus ambitieuse que l’autre. Il s’agit sur quatre écrans à plats équipés d’une technologie tactile infrarouge de présenter des œuvres du musée répondant à des thématiques telles que le corps, la représentation, etc.

L’interface est extrêmement claire et répond à n’en pas douter à un soucis d’être compréhensible par tous. Car c’est la première chose qu’il faut louer sur ce dispositif : il reprend des codes du musée déjà acquis par tous ses visiteurs ; ceux d’un savoir maîtrisé par le musée, d’une présentation univoque des fonds comme on la connaît via le cartel par exemple. Quelques animations légères permettent d’attirer cependant une forme d’attention contemporaine, illustrant les propos sans ambition spectaculaire.

C’est un travail soigné et accessible à tous… Ou pas tout à fait car, de ce que j’ai vu, on peut cependant regretter que ces tables ne soient justement a priori pas accessibles à de nombreuses formes de handicap, je pense notamment aux personnes en fauteuil roulant (mais arrivent-elles déjà jusque cet endroit du musée?).

L’autre écran tactile, incliné, présente des bas reliefs avec la promesse d’en comprendre les graphies. Là encore, il faut louer la qualité de la médiation et de la réponse simple et claire donnée à des préoccupations du Louvre tel que le multilinguisme.

Dans les deux cas, une réponse a été apportée à la question de l’utilisation du matériel par plusieurs personnes simultanément. Dans le premier cas, l’information est tout simplement démultipliée sur les 4 écrans qui sont en fait autant d’interfaces individuelles. J’ai regretté que celles-ci ne puissent communiquer entre elles, qu’elles ne permettent pas par exemple de distribuer à ses amis un contenu qui pourrait les intéresser en leur faisant glisser la fiche sur leur écran. Audrey Defretin m’a fait remarquer « eh, tu n’es pas à Erasme! »… Hum.

Quant au second dispositif, il supporte tout simplement que plusieurs utilisateurs l’utilisent en même temps, mais ne répond au final qu’à une seule commande. Le visiteur est donc canalisé, se retrouve parfois face à un objet qui ne lui répond pas sans pour autant qu’il puisse comprendre pourquoi. À n’en pas douter il recommencera et trouvera alors une réponse favorable, le visiteur précédent lui ayant cédé sa place. Car, peut-être que la simplicité d’usage réside aussi sur ce simple fait que les interactions hommes-machines sont d’abord régies par les lois sociales entre hommes, et qu’il n’est pas toujours besoin d’émettre de réponse technologique complexe à des problèmes que l’interaction sociale résout tout aussi bien. Pour un musée dont l’une des préoccupations principales est la gestion des flux, il est intéressant de voir que les facteurs entropiques ne sont pas vus que comme des problèmes potentiels.

Au final et à la vue d’un dernier écran présentant des céramiques et leurs caractéristiques, dont on peut louer les mêmes qualités et des défauts similaires, j’ai eu l’impression que ces dispositifs avaient plus pour ambition une continuité des pratiques muséales et de médiation que leur prise en main par le numérique. C’est un choix qui est louable, mais que je me permets de regretter car si je pense que le numérique est un outil, il faut valoriser des usages de celui-ci plus innovants, permettant de mettre en œuvre des systèmes de voir et de faire, des façons de penser et de dire différentes, adaptées et adaptables à chacun. Ici, le numérique porte un discours plus traditionnel. Figé, selon moi.

Les nouvelles technologies au service d’une médiation old school?

Les dispositifs décrits plus hauts ont été vus pendant la visite bien après que le groupe eût testé les 3DS… Mais pour dire le vrai, celle-ci pendait déjà lamentablement à mon coups depuis plusieurs dizaines de minutes quand nous sommes arrivés sur les lieux.

Ce qui m’a le plus surpris dans ce dispositif, en effet, c’est qu’il ne m’a pas rendu accroc. Je me suis alors assez rapidement posé une question : à qui donc la 3DS au Louvre est-elle donc destinée? Eh, c’est sûr, sa prise en main n’était pas aisée et il a tout de même fallu qu’on m’explique certaines fonctions dans le peu de temps qui nous était imparti pour la visite. Pas un outil geek, mais pas un outil grand public, donc.

Cette question du public se pose surtout à cause de l’interface. En ne ciblant aucun public, il me semble que le Louvre pêche par orgueil, celui d’un musée monde qui croit en l’universalisme de son discours. Il existe ça et là des efforts au sein de cette institution, mais ils sont si durs à appréhender !

Oui, le dispositif est complexe et m’a mené à une autre grande surprise : celui du parcours de visite guidée. Ce parcours défilait, sans s’arrêter. La voix qui commentait les œuvres et les lieux ne cessait dans l’oreille que le temps de parcourir les 200 prochains mètres, de gravir les quelques marches… Avant de tourner à droite… Puis à gauche… Et, ça y est, vous y êtes, regardez en face de vous.

Cette rapidité était déroutante. Plus qu’une visite guidée, elle fait penser à ces visites au pas de course qui sont justement le cauchemar des détracteurs du tourisme de masse. Le temps n’était pas donné à l’observation et la console que j’avais entre les mains ne m’y invitait pas. Elle ne permettait pas non plus une prise en main facile de l’interface de lecture : sans exagérer, je découvrais presque par hasard comment arrêter, redémarrer (forcément depuis le début) le commentaire, passer à l’œuvre suivante, me relocaliser, etc.

En échangeant avec @anamure par la suite, elle m’a précisé que cette impression pouvait être donnée par le type de visite que nous avions organisée, et que lors du prêt de la 3DS, des instructions étaient données sur son usage. Il est vrai que certaines observations mériteraient d’être doublées et j’invite le lecteur à garder cela en tête à la lecture de ce compte-rendu.

Il semble donc que la fluidité de la médiation n’ait pas toujours été atteinte. Il faut dire que les dispositifs numériques induisent des comportements dans ce domaine qu’il peut être difficile de faire accepter dans des structures traditionnelles. En prouvant qu’il est capable de choisir un support aussi novateur, le Louvre n’a-t-il pourtant pas montré qu’il est capable de justement dépasser les cadres anciens de la médiation? Pourquoi, alors que le premier pas est sauté, ne retrouve-t-on pas des contenus adaptés, au niveau de cette ambition?

Car, il aurait été si logique de pouvoir jouer sur cette console. Un jeu sérieux, un jeu en réseau, un jeu de piste, un jeu solitaire, qu’importe… Ni dans son ergonomie, ni dans ses fonctions, ni même dans ses contenus, la 3DS ne renoue avec son usage initial et ce qui fait la vivacité toute particulière de la médiation numérique : une scénarisation des contenus qui permet à l’usager d’apprendre en s’amusant. D’aucun regretteront que l’art devienne un élément de l’entertainment, de la consommation culturelle – j’en suis le premier. Mais, justement, la 3DS au Louvre et les enjeux qui y ont été clairement posés (et selon le constat fait ici, trop strictement) prouvent que l’équipe était partie sur les bases à mon sens tout à fait louables d’une médiation différente, mais de qualité.

En utilisant la 3DS, j’ai appris des choses. Mais justement, tout cela s’est déroulé selon un schéma d’apprentissage traditionnel. Je n’ai pas retrouvé les codes qui, face à un fonds que j’aurais moins apprécié par exemple, m’auraient engagé à m’y aliéner le temps de le comprendre… La 3DS est là pour répondre à un public déjà conquis par l’audioguide, ou pour faire venir à la culture un public nouveau ?  On peut ici se poser la question.

La double perturbation.

Cependant, la réponse numérique à des problèmes plus anciens de médiation au Louvre est parfois tout à fait justifiée. L’un de ceux-ci est l’immensité du lieu, sa complexité. Un bâtiment comme celui-là ne se laisse pas aborder facilement, et le charme des premières visites au Louvre s’accompagne souvent de la découverte impromptue de salles entières qu’on n’avait pas prévu de visiter et dont la magnificence nous émeut.

Un charme qui se rompt souvent dans les minutes suivantes lorsqu’en vain vous tentez de rejoindre l’œuvre précise que vous souhaitiez consulter… Mais ici, la 3Ds va vous aider! Là encore,côté d’ailleurs, @anamure précise en ces termes : « L’audioguide est fortement lié au musée dans le sens du bâtiment et aussi de son offre culturelle. Ce musée immense, foisonnant et complexe […] doit être reflété dans l’audioguide. Pour moi, c’est là que réside l’intérêt de mon activité et constitue un défi stimulant. Le visiteur est au cœur de mes préoccupations […]”

La fonction de géolocalisation est portée par un dispositif de bornes disséminées dans tout le musées qui fonctionne particulièrement bien. Murs épais, plan complexe, contraintes liées au type de bâtiment, kilomètres de coursives et galeries… Tous ces obstacles ont été extraordinairement bien maîtrisés pour permettre au visiteur de retrouver son chemin, savoir où il est…

Si le dispositif fonctionne bien, l’interface sur la 3DS reste là aussi décevante sur ce point. En effet, le plan présenté sur le petit écran est complexe. On sent une volonté de le morceler, de manière à le faire comprendre. Il y a le plan global, et le plan local. L’un est sur l’écran du bas, l’autre sur l’écran du haut. Mais ce plan local manque d’un design clair qui permet de l’aborder facilement sur ce petit écran…

De même, lorsque le visiteur est guidé à travers les salles, le double écran sert là encore de manière ingénieuse, permettant sur celui du bas de voir le plan et sur l’écran du haut d’avoir une vue de la salle selon le bon angle à adopter pour se diriger correctement. Pourtant, tout ceci semble manquer de fluidité. Si le dispositif a une ambition pratique, il se retrouve vidé de toute plus-value.

Ce double écran a fait l’objet d’une vraie recherche. Il est sans cesse utilisé et on voit très facilement que le but de l’équipe a été de lui donner un sens. On ne trouve pas le même type d’information en bas et en haut, ce qui permet peut-être de clarifier des usages du dispositif. Par exemple, l »écran du bas sert à la 3D et aux images hautes définition, tandis que l’écran tactile du bas présente le plan et les fonctions à utiliser. Mais là encore, en échangeant avec @anamure, je me rends compte que j’ai mélangé les informations affichées sur l’écran du bas et celui du haut… Et je semble me souvenir que parfois des images ou menus s’affichent sur des écrans qui ne leur étaient pas destinés…

Au final, j’ai l’impression de n’a pas pas réellement avoir saisi le fonctionnement des écrans l’un en rapport à l’autre. Peut-être aurait-il fallu faire des choix n’ont plus radicaux : plutôt que de montrer tout ce que l’engin savait faire, il eût fallu à mon sens limiter les fonctions à celles qui auraient permis une ergonomie plus claire. Voire aux contenus que le Louvre était en capacité de produire pour chaque oeuvre. En effet, les fonctions déclenchées ne sont pas systématiques (ici une 3D, là une HD, ou un commentaire, etc), et on attend toujours avec une sorte d’incertitude ce que va engendrer notre action. Au final, en mauvais camarades, nous cherchions à trouver les petits bugs de chaque fonction, testant des limites techniques qui ont vocation à disparaître avec les prochaines itérations.

Il est dommage que ces bonnes idées soient noyées dans leur propre profusion, et que l’expérience globale soit celle d’un objet qu’on a du mal à aborder dans son ensemble. Au final, l’application souffre un peu du même syndrome que son musée… Trop grande, trop vaste, elle n’est pas adaptée à ses usagers mais aux vastes enjeux et collections du Louvre…