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Christophe Honore le Nouveau Roman

En ce moment, le théâtre de La Colline présente Nouveau Roman, mis en scène et écrit par Christophe Honoré. Introduire cette pièce n’est pas une chose facile car elle brasse tant de références et permet tant de points d’accroche qu’il est difficile de commencer… Mais je vais tenter quelque chose qui corresponde simplement à mon « envie d’écrire sur », puisque l’une des leçons à tirer du nouveau roman selon cette pièce c’est justement la soif de n’avoir aucune contrainte que l’objet qu’on tente de faire passer….

Christophe, qu’as-tu donc fait ?

Ce n’est certainement pas la chose la plus importante du spectacle… Quoique… En tout cas, je ne connaissais pas ce Christophe Honoré, celui d’un certain retour moral. J’y vais un peu fort ? Sûrement. Mais de la part d’un auteur aussi inscrit dans la culture LGBT, j’ai été mal à l’aise devant une scène très décevante où l’homosexualité de Pinget est traitée de manière solennelle : douloureux problème où l’on parle de la discrétion des auteurs de ce temps sur la question…. Pour un grand public, la scène semblera certainement justifiée et profonde : l’homosexuel qui se met à nu, quelle profondeur, quelle beauté symbolique ! Ou alors on peut aussi penser que ça rappelle un peu Polnareff (« je suis un homme, je suis un homme, quoi de plus naturel en somme ?! « ) et là on perd en crédibilité sur le sujet. Avec mon regard sensible à ces analyses, cette scène tiendrait plutôt de l’exhibition, du zoo humain : ce n’est pas son masque social que Pinget défait, il ne se drape pas dans la dignité de son corps semblable à celui des autres – quoi, faut-il encore le prouver ?! Non, il retire sa dignité d’être humain. Le seul nu sur scène, c’est l’homosexuel, parmi des hétéros (et un autre homo, Ollier, ceci dit) qui observeront, habillés, pendant que Pinget ramassera piteusement ses habits noirs. On peine à croire qu’Honoré a commis ça.

Même la scène traitant de la sexualité de Robbe-Grillet est plus digne, pourtant l’homme ne ressort pas grandi de la pièce. Si le même voyeurisme gênant empreint d’une fausse impudeur pourtant pleine de clichés est à l’oeuvre lorsque ses pratiques SM sont abordées, celles-ci s’inscrivent dans un discours sur l’impuissance et la domination de sa femme, présentée au fond comme encore plus impuissantes – les rumeurs, me dit-on avec facétie, la créditent pourtant d’un rôle plus actif jusque récemment. Point de salut pour les déviants : ils portent les stigmates d’une différence qui s’inscrit pour elle-même. Ces différences justifient à elles seules les quasi uniques digressions biographiques sur les auteurs, que ne justifient pas la pièce – c’est dommage, car elles représentent la seule entorse à une écriture et une mise en scène cohérente avec les pratiques actuelles et le sujet abordé.

L’acteur est un objet, le cyborg aussi.

Mise à part ces scènes qui pèchent tant par leur traitement que par leur mise en scène (ou alors je n’ai pas compris le second degré ?), le reste de la mise en scène est heureusement impeccable, fait de ce fourmillement et des petits couacs qui donnent du réel sur scène. Ce même réel spectaculaire, artificiel au point d’en devenir concret, qui ouvre le spectacle et revient parfois en cassant le rôle de l’acteur et en le faisant parler en tant que tel : « Christophe est timide – je suis son frère et il m’a demandé de vous introduire cette pièce par un petit discours en dehors de la pièce ». D’autres mélanges du réel au narratif existent, comme lorsque, plus tard, le personnage Sarraute répond à la voix de Huppert pour une interview des Cahiers du cinéma en cet instant qui traite du métier d’acteur. Je ne peux m’empêcher de penser aux Pirandello joués sur cette même scène, surtout quand tous les acteurs sont droits comme des monolithes au moment où les personnages, ces auteurs du nouveau roman, nous parlent de la figure de ce qu’est un personnage, tournés dos à nous. Ou de même, opposés au spectateur mais comme reflété face à lui, tout de même, grâce à une caméra, quand autour d’une table ils dissertent du mot « objet ».

Au milieu de la pièce, comme pour éviter un entracte mais relâcher l’attention, Christophe Honoré a ménagé un instant interactif. Ce dispositif, où bien sûr personne ou presque ne prend finalement la parole dans le public, est un temps de réflexivité. Je ne crois pas que le metteur en scène avait la naïveté de penser qu’il fonctionnerait comme un forum, mais il permet une fois encore de détruire le personnage pour le mélanger à l’acteur, de relier le performatif de l’écriture théâtrale dans un mouvement proche de la performativité du nouveau roman.

D’autres dispositifs déjà vus mais pas souvent utilisés sur scène sont présents dans cette mise en scène : sur des écrans, Christophe Honore fait parler des invités sous un mode documentaire. Les espaces comme les formes d’apparition des différents types de discours et des différentes théâtralités se mêlent sans se mélanger, reposent sur de l’image et des dispositifs augmentés. Le choix du son amplifié à la Colline trouve une continuité dans d’autres dispositifs récurrents des metteurs en scènes qui investissent le plateau. En posant toujours et encore la question de l’acteur et en n’hésitant pas à faire appel à des logiques issues des cultures numériques que je tente à longueur de texte d’expliquer ici, ces metteurs en scènes comme Christophe Honoré montrent combien l’acteur est un personnage cyborg, un homme composé de différents ajouts exogènes, non naturels, depuis le récit jusqu’à la mise en scène en passant par différents instruments – mais ces metteurs en scène ont pour l’instant une culture suffisamment classique pour ne pas les exploiter comme ils le pourraient. « Tout est vrai, mais je ne reconnais rien aurait dit Catherine Robbe-Grillet.

D’une guerre à une bataille.

Sans pathos mais avec une empathie profonde les sujets traitant de la guerre, les marques laissées par l’histoire à ces écrivains incarnés par des acteurs jeunes et beaux traversent la pièce. La fin, rubrique nécrologique, est une tentative désespérée et inutile de donner de la grandeur à une pièce qui n’en a pas besoin, proche du spectateur par son rythme et ses astuces scéniques : une sorte de documentaire d’un nouveau genre qui oublie la reconstitution pour nous faire connaître les hommes et femmes plutôt que les personnages. En effet, c’est ce que permet cet effondrement du personnage et de l’acteur: une présence réelle et charnelle, sentimentale, qui est en fait porté par des jeux d’acteurs d’une perfection et d’une sincérité sans faille.

La guerre arrive presque par incidence dans la pièce : Duras explique qu’elle n’aurait jamais écrit à ce propos si on ne lui avait pas commandé Hiroshima mon amour (le livre qui pourtant a motivé l’écriture de la pièce dans le sens où il fut la révélation d’Honoré au temps du collège). L’intervention de Simon réserve une part importante à la thématique, puisqu’en traversant la scène dans un pas chassé psalmodique, le personnage le représentant déclame avec puissance un extrait de son oeuvre décrivant la débandade coupable de généraux lors d’une bataille mortelle.

Honoré met donc en avant l’impensé de la guerre dans l’oeuvre du nouveau roman en lui donnant l’importance d’un acte fondateur, comme il l’aura été pour Dada. D’autres absents ne figurent pas sur scène,  panthéon de la mythologie des écrivains du nouveau roman. Beckett ne fait son apparition que par l’intermédiaire d’une photo sur une porte restée la plupart du temps fermée, et par les propos des personnages – dont une tirade de Jérôme Lindon qui justement traite du rapport du sacré au profane qu’entretient forcément le corps d’un écrivain de cette importance. Le conflit entre l’auteur et l’éditeur, qui sourd sans jamais éclater sur ces termes mis à part quelques échanges où le rôle paternel de Lindon est disputé à son rôle de chef d’entreprise, faisant des auteurs de simples ouvriers de l’édition (« vous avez le même patron, c’est lui qui vous signe vos chèques »)…

Mais le plus grand absent de cette pièce est celui qui a été le plus grand absent des écrivains du nouveau roman : le sentiment de cohésion. Il échappe aux protagonistes qui tentent de le saisir dans des démarches personnelles, essayent de le fuir en le mettant à l’écart par des actes absurdes, l’abhorrent autant qu’ils le désirent. Honoré a su mettre en place le conflit structurant sans réellement le représenter, jouant en finesses avec les absences et les présences d’un récit construit sur la documentation subjective et collective.

Nouveau roman traître de ces hommes et femmes, sait aborder des sujets qui les informent tels que le rapport à aux figures tutélaires de Beckett ou de Lindon. Mais jamais il ne dévient lénifiant, jamais il ne perd de vue ce pré-requis qu’il veut expliquer : l’écriture est d’abord une re-création de la réalité. Et pour cette pièce, on peut dire que c’est aussi une réussite.

Des trois Grâces aux 3DS : cultures web et faux semblants geeks au Louvre.

J’ai eu envie d’écrire cet article après avoir été invité par Anaïs Muré, dite @anamure, à tester le nouveau guide multimédia qui a tant fait parler de lui. Mais il faut bien l’avouer, même si cette expérience mérite un compte rendu que je vais vous livrer, il faut la remettre en contexte pour ne pas paraître trop dur sur ce résultat.

Un contexte lourd de sens?

Le musée du Louvre prend le numérique de plein fouet et semble même parfois fortement inspiré. Il faut reconnaître que certaines de ses approches font montre d’une grande compréhension de l’ère numérique et des cultures qui en découlent. Je trouve que ceci est vrai avec l’exemple des financements participatifs de ses projets de restauration ou d’acquisition, comme le très médiatique projet de financement des Trois Grâces. Une façon de faire qui renvoie forcément aux nouveaux modes de financements participatifs venus du web, mais qui promettent aussi un engagement des communautés sur les contenus qui est forcément très puissant (on accepte plus facilement de donner de son attention quand on a donné de son portefeuille, comme aime à le rappeler Robin Sappe).

Et parfois, le Louvre semble moins inspiré ou tout simplement oublie apparemment une donnée importante de l’équation qu’il tente de résoudre. On repense particulièrement à la Communauté Louvre, sorte de mini-site collaboratif dont beaucoup se seront demandé où était passée l’animation et ce qui pouvait bien être fait de ce projet.

Mais je ne m’étalerai pas plus sur ces projets qui mériteraient à eux seuls plusieurs articles chacun.

Ici, c’est le numérique in situ qui va m’intéresser. Une fois n’est pas coutume, je vais être un peu direct: les dispositifs présentés m’ont profondément déçu. J’ai retrouvé en eux cette sensation que je peux avoir lorsque, visitant un site d’institution culturelle, je me retrouve face à un site vitrine. Ces dispositions ne semblent pas avoir pris en compte les cultures numériques et leurs enseignements ; on sent, derrière une volonté forte de les mettre en scène, une impossibilité de les déployer réellement. La raison en incombe à n’en pas douter à la structure du Louvre, aux validations et allers-retours hiérarchiques qu’auront subi les projets. Nous n’avons pas trop parlé de ce point, mais connaissant l’institution il semble assez banal que de dire d’un projet avec une ambition telle que celle de la 3DS au Louvre aura forcément pâti de la chaîne décisionnelle. Mais ne connaissant pas assez bien les structures du Louvre, je vais arrêter là les supputations et en passer au compte rendu.

Écran tactile, ou écran de fumée?

Lors de la visite il y a plus d’un mois, nous avions eu l’occasion de passer derrière les palissades dressées à quelques endroits du Louvre pour voir les dispositifs numériques in situ, c’est-à-dire trois tables tactiles que les publics peuvent découvrir depuis quelques semaines maintenant. Sur le sujet abordé, l’une est assurément plus ambitieuse que l’autre. Il s’agit sur quatre écrans à plats équipés d’une technologie tactile infrarouge de présenter des œuvres du musée répondant à des thématiques telles que le corps, la représentation, etc.

L’interface est extrêmement claire et répond à n’en pas douter à un soucis d’être compréhensible par tous. Car c’est la première chose qu’il faut louer sur ce dispositif : il reprend des codes du musée déjà acquis par tous ses visiteurs ; ceux d’un savoir maîtrisé par le musée, d’une présentation univoque des fonds comme on la connaît via le cartel par exemple. Quelques animations légères permettent d’attirer cependant une forme d’attention contemporaine, illustrant les propos sans ambition spectaculaire.

C’est un travail soigné et accessible à tous… Ou pas tout à fait car, de ce que j’ai vu, on peut cependant regretter que ces tables ne soient justement a priori pas accessibles à de nombreuses formes de handicap, je pense notamment aux personnes en fauteuil roulant (mais arrivent-elles déjà jusque cet endroit du musée?).

L’autre écran tactile, incliné, présente des bas reliefs avec la promesse d’en comprendre les graphies. Là encore, il faut louer la qualité de la médiation et de la réponse simple et claire donnée à des préoccupations du Louvre tel que le multilinguisme.

Dans les deux cas, une réponse a été apportée à la question de l’utilisation du matériel par plusieurs personnes simultanément. Dans le premier cas, l’information est tout simplement démultipliée sur les 4 écrans qui sont en fait autant d’interfaces individuelles. J’ai regretté que celles-ci ne puissent communiquer entre elles, qu’elles ne permettent pas par exemple de distribuer à ses amis un contenu qui pourrait les intéresser en leur faisant glisser la fiche sur leur écran. Audrey Defretin m’a fait remarquer « eh, tu n’es pas à Erasme! »… Hum.

Quant au second dispositif, il supporte tout simplement que plusieurs utilisateurs l’utilisent en même temps, mais ne répond au final qu’à une seule commande. Le visiteur est donc canalisé, se retrouve parfois face à un objet qui ne lui répond pas sans pour autant qu’il puisse comprendre pourquoi. À n’en pas douter il recommencera et trouvera alors une réponse favorable, le visiteur précédent lui ayant cédé sa place. Car, peut-être que la simplicité d’usage réside aussi sur ce simple fait que les interactions hommes-machines sont d’abord régies par les lois sociales entre hommes, et qu’il n’est pas toujours besoin d’émettre de réponse technologique complexe à des problèmes que l’interaction sociale résout tout aussi bien. Pour un musée dont l’une des préoccupations principales est la gestion des flux, il est intéressant de voir que les facteurs entropiques ne sont pas vus que comme des problèmes potentiels.

Au final et à la vue d’un dernier écran présentant des céramiques et leurs caractéristiques, dont on peut louer les mêmes qualités et des défauts similaires, j’ai eu l’impression que ces dispositifs avaient plus pour ambition une continuité des pratiques muséales et de médiation que leur prise en main par le numérique. C’est un choix qui est louable, mais que je me permets de regretter car si je pense que le numérique est un outil, il faut valoriser des usages de celui-ci plus innovants, permettant de mettre en œuvre des systèmes de voir et de faire, des façons de penser et de dire différentes, adaptées et adaptables à chacun. Ici, le numérique porte un discours plus traditionnel. Figé, selon moi.

Les nouvelles technologies au service d’une médiation old school?

Les dispositifs décrits plus hauts ont été vus pendant la visite bien après que le groupe eût testé les 3DS… Mais pour dire le vrai, celle-ci pendait déjà lamentablement à mon coups depuis plusieurs dizaines de minutes quand nous sommes arrivés sur les lieux.

Ce qui m’a le plus surpris dans ce dispositif, en effet, c’est qu’il ne m’a pas rendu accroc. Je me suis alors assez rapidement posé une question : à qui donc la 3DS au Louvre est-elle donc destinée? Eh, c’est sûr, sa prise en main n’était pas aisée et il a tout de même fallu qu’on m’explique certaines fonctions dans le peu de temps qui nous était imparti pour la visite. Pas un outil geek, mais pas un outil grand public, donc.

Cette question du public se pose surtout à cause de l’interface. En ne ciblant aucun public, il me semble que le Louvre pêche par orgueil, celui d’un musée monde qui croit en l’universalisme de son discours. Il existe ça et là des efforts au sein de cette institution, mais ils sont si durs à appréhender !

Oui, le dispositif est complexe et m’a mené à une autre grande surprise : celui du parcours de visite guidée. Ce parcours défilait, sans s’arrêter. La voix qui commentait les œuvres et les lieux ne cessait dans l’oreille que le temps de parcourir les 200 prochains mètres, de gravir les quelques marches… Avant de tourner à droite… Puis à gauche… Et, ça y est, vous y êtes, regardez en face de vous.

Cette rapidité était déroutante. Plus qu’une visite guidée, elle fait penser à ces visites au pas de course qui sont justement le cauchemar des détracteurs du tourisme de masse. Le temps n’était pas donné à l’observation et la console que j’avais entre les mains ne m’y invitait pas. Elle ne permettait pas non plus une prise en main facile de l’interface de lecture : sans exagérer, je découvrais presque par hasard comment arrêter, redémarrer (forcément depuis le début) le commentaire, passer à l’œuvre suivante, me relocaliser, etc.

En échangeant avec @anamure par la suite, elle m’a précisé que cette impression pouvait être donnée par le type de visite que nous avions organisée, et que lors du prêt de la 3DS, des instructions étaient données sur son usage. Il est vrai que certaines observations mériteraient d’être doublées et j’invite le lecteur à garder cela en tête à la lecture de ce compte-rendu.

Il semble donc que la fluidité de la médiation n’ait pas toujours été atteinte. Il faut dire que les dispositifs numériques induisent des comportements dans ce domaine qu’il peut être difficile de faire accepter dans des structures traditionnelles. En prouvant qu’il est capable de choisir un support aussi novateur, le Louvre n’a-t-il pourtant pas montré qu’il est capable de justement dépasser les cadres anciens de la médiation? Pourquoi, alors que le premier pas est sauté, ne retrouve-t-on pas des contenus adaptés, au niveau de cette ambition?

Car, il aurait été si logique de pouvoir jouer sur cette console. Un jeu sérieux, un jeu en réseau, un jeu de piste, un jeu solitaire, qu’importe… Ni dans son ergonomie, ni dans ses fonctions, ni même dans ses contenus, la 3DS ne renoue avec son usage initial et ce qui fait la vivacité toute particulière de la médiation numérique : une scénarisation des contenus qui permet à l’usager d’apprendre en s’amusant. D’aucun regretteront que l’art devienne un élément de l’entertainment, de la consommation culturelle – j’en suis le premier. Mais, justement, la 3DS au Louvre et les enjeux qui y ont été clairement posés (et selon le constat fait ici, trop strictement) prouvent que l’équipe était partie sur les bases à mon sens tout à fait louables d’une médiation différente, mais de qualité.

En utilisant la 3DS, j’ai appris des choses. Mais justement, tout cela s’est déroulé selon un schéma d’apprentissage traditionnel. Je n’ai pas retrouvé les codes qui, face à un fonds que j’aurais moins apprécié par exemple, m’auraient engagé à m’y aliéner le temps de le comprendre… La 3DS est là pour répondre à un public déjà conquis par l’audioguide, ou pour faire venir à la culture un public nouveau ?  On peut ici se poser la question.

La double perturbation.

Cependant, la réponse numérique à des problèmes plus anciens de médiation au Louvre est parfois tout à fait justifiée. L’un de ceux-ci est l’immensité du lieu, sa complexité. Un bâtiment comme celui-là ne se laisse pas aborder facilement, et le charme des premières visites au Louvre s’accompagne souvent de la découverte impromptue de salles entières qu’on n’avait pas prévu de visiter et dont la magnificence nous émeut.

Un charme qui se rompt souvent dans les minutes suivantes lorsqu’en vain vous tentez de rejoindre l’œuvre précise que vous souhaitiez consulter… Mais ici, la 3Ds va vous aider! Là encore,côté d’ailleurs, @anamure précise en ces termes : « L’audioguide est fortement lié au musée dans le sens du bâtiment et aussi de son offre culturelle. Ce musée immense, foisonnant et complexe […] doit être reflété dans l’audioguide. Pour moi, c’est là que réside l’intérêt de mon activité et constitue un défi stimulant. Le visiteur est au cœur de mes préoccupations […]”

La fonction de géolocalisation est portée par un dispositif de bornes disséminées dans tout le musées qui fonctionne particulièrement bien. Murs épais, plan complexe, contraintes liées au type de bâtiment, kilomètres de coursives et galeries… Tous ces obstacles ont été extraordinairement bien maîtrisés pour permettre au visiteur de retrouver son chemin, savoir où il est…

Si le dispositif fonctionne bien, l’interface sur la 3DS reste là aussi décevante sur ce point. En effet, le plan présenté sur le petit écran est complexe. On sent une volonté de le morceler, de manière à le faire comprendre. Il y a le plan global, et le plan local. L’un est sur l’écran du bas, l’autre sur l’écran du haut. Mais ce plan local manque d’un design clair qui permet de l’aborder facilement sur ce petit écran…

De même, lorsque le visiteur est guidé à travers les salles, le double écran sert là encore de manière ingénieuse, permettant sur celui du bas de voir le plan et sur l’écran du haut d’avoir une vue de la salle selon le bon angle à adopter pour se diriger correctement. Pourtant, tout ceci semble manquer de fluidité. Si le dispositif a une ambition pratique, il se retrouve vidé de toute plus-value.

Ce double écran a fait l’objet d’une vraie recherche. Il est sans cesse utilisé et on voit très facilement que le but de l’équipe a été de lui donner un sens. On ne trouve pas le même type d’information en bas et en haut, ce qui permet peut-être de clarifier des usages du dispositif. Par exemple, l »écran du bas sert à la 3D et aux images hautes définition, tandis que l’écran tactile du bas présente le plan et les fonctions à utiliser. Mais là encore, en échangeant avec @anamure, je me rends compte que j’ai mélangé les informations affichées sur l’écran du bas et celui du haut… Et je semble me souvenir que parfois des images ou menus s’affichent sur des écrans qui ne leur étaient pas destinés…

Au final, j’ai l’impression de n’a pas pas réellement avoir saisi le fonctionnement des écrans l’un en rapport à l’autre. Peut-être aurait-il fallu faire des choix n’ont plus radicaux : plutôt que de montrer tout ce que l’engin savait faire, il eût fallu à mon sens limiter les fonctions à celles qui auraient permis une ergonomie plus claire. Voire aux contenus que le Louvre était en capacité de produire pour chaque oeuvre. En effet, les fonctions déclenchées ne sont pas systématiques (ici une 3D, là une HD, ou un commentaire, etc), et on attend toujours avec une sorte d’incertitude ce que va engendrer notre action. Au final, en mauvais camarades, nous cherchions à trouver les petits bugs de chaque fonction, testant des limites techniques qui ont vocation à disparaître avec les prochaines itérations.

Il est dommage que ces bonnes idées soient noyées dans leur propre profusion, et que l’expérience globale soit celle d’un objet qu’on a du mal à aborder dans son ensemble. Au final, l’application souffre un peu du même syndrome que son musée… Trop grande, trop vaste, elle n’est pas adaptée à ses usagers mais aux vastes enjeux et collections du Louvre…

Les mots et les choses : déconstruction d’un conte de fée.

Je me rappellerai toujours la question que m’avait posée la responsable d’équipe lors de mon entretien pour entrer à l’Opéra de Lille : pourquoi l’opéra, qu’est-ce qui me plaisait particulièrement dedans ? J’avais répondu que la particularité de ce spectacle vivant qui m’attirait le plus était l’aspiration à être un art total. En allant voir le Cendrillon de Jules Massenet mis en scène par Laurent Pelly j’ai pu apprécier une conception vraiment moins classique, à mille lieux de celle-ci… Un opéra qui n’a pas cette prétention et n’existe que pour servir une autre forme d’art.

Un opéra très éponyme.

En quelque sorte, on pourrait dire que ce Cendrillon prend beaucoup des traits de son personnage principal (appelé aussi Lucette), condamné par les mauvaises noces de son père à travailler là où sa condition aurait pu la porte à plus d’oisiveté ou au moins à des prétentions de grandeur. L’une des premières apparition de Lucette est en effet une ode au travail qui rappelle du coup assez fortement les théories nées de cette époque. Qu’on soit marxiste ou libéral, le travail libère. Le travail bien fait est une valeur incontournable qui justifie l’existence et, pourquoi pas, sa place dans la société. C’est une déclaration de loyauté envers ce (vrai ?) travail qui introduit le personnage, prémices possibles à une lecture politique. Mais il n’en sera rien. Car, si Cendrillon est la fille déchue de sa classe que lui fera rejoindre l’histoire, elle n’est pas une héroïne sociale, un personnage zolien. Elle tourne en rond dans ses propres rêves, sans pouvoir les atteindre ni même tenter de les atteindre, jusqu’à ce qu’un deus ex machina n’intervienne.

Il en est de même pour cet opéra, qui utilise bien évidemment le genre de la façon la plus classique qui soit. Et pourtant, l’histoire qui est ici déroulée n’est pas à sa place : elle est un conte de fée qui s’assumera petit à petit au cours des quatre actes pour culminer aux derniers mots du dernier acte. C’est le doigt du metteur en scène qui replace l’opéra de Massenet dans son rôle de conte de fée.

Une vision urbaine et bourgeoise.

Et le doigt du metteur en scène est très présent ! Ainsi, Laurent Pelly ancre fortement son opéra dans des décors haussmanniens, des cheminées urbaines plutôt que des forêts, privilégiant des espaces vides, des plateaux de théâtre aux environnements factices. Un vrai choix qui va faire sens et empêcher toute échappatoire politique dans l’interprétation de cet opéra.

Ce décor nous dit beaucoup en lui-même. Il prend toute la place alors même qu’il est d’une grande simplicité car tout y est, là, sur scène et dans les mots – en tout cas dans un espace de l’imagination qui n’est pas celui du réalisme. Pas une fois Cendrillon ne brique et les domestiques qu’elle côtoie si peu sont habillés comme des domestiques de théâtre : propres sur eux et sans sueur, sans labeur. Cendrillon a un costume de souillon qui est complétement décalé et qui, finalement, paraît lui aussi factice. Dépouillé – je reviendrai plus longuement sur les éléments du décors un peu plus tard –, le plateau n’offre pas de prise à l’interprétation alors que le texte et la musique le remplissent. Mais les costumes se suffisent à eux-même dans la recherche de signification. Les costumes et les corps, avec ces attitudes outrées et cette mise en scène très burlesque (une constante de la saison 2011-2012 de l’Opéra de Lille).

Le côté burlesque de la mise en scène coupe toute possibilité de lecture véritablement politique. Ainsi, la scène de bal par exemple et sa réplique de la scène de la pantoufle, sont un bestiaire très ludique des attitudes bourgeoises (en réalité aristocratiques, mais est-ce vraiment la catégorie visée par le metteur en scène?) : il n’y a là cependant qu’une condamnation des mœurs, une peinture d’une société légère et égocentrique, un discours relativement formaté sur l’apparence qui est servi à la faveur des propos du conte… Mais ce n’est pas l’occasion d’une dénonciation de la vanité du pouvoir ni même du pouvoir de la vanité ; on se contentera d’attitudes farcesques rendues à merveille par un jeu d’acteur très en phase avec ce registre. Il s’agit d’une critique atemporelle de la mode, qui se lit à travers les costumes ou encore les danses saccadées, que le prince – un romantique désabusé et par là forcément plus profond que ses contemporains – va regarder d’un air critique et distant.

Des corps qui s’enlacent sans se percuter.

La danse est un moment de rire, tout comme la présentation des prétendantes dont un groupe de femmes se détache dans un comique de répétition renforcé par l’effet de groupe. Celles-ci reviennent, agressives et fortement sexuées, cherchant a priori les plaisirs de la chair jusqu’à l’évocation de jeux de domination – les laquais utilisés comme des petits chevaux pour qu’elles puissent se déplacer en les fessant. Ce sont des corps qui se touchent : un motif que l’on va rarement retrouver dans cet opéra où l’on trouve beaucoup de distance.

La femme et le mari entrent parfois en conflit, mais se fuient la plupart du temps. La chaussure de vair (ou, par choix du metteur en scène, de verre) sert d’intermédiaire entre les corps féminins et masculins – sauf ceux du groupe sus-mentionné. Les scènes de contact entre les corps sont souvent des scènes de foules, comme lorsque le prince est assailli et apeuré par les prétendantes.

A contrario, quelques exceptions me reviennent en tête : comme le père et la fille dans la chambre de cette dernière, qui se consolent et s’étreignent. Il faudrait revoir cette mise en scène pour en dire plus sur ce point.

Cependant, il est une scène particulièrement intéressante sur le sujet des corps : celle de la « forêt », ici transposée dans un décor de cheminées. Là, les corps ne se percutent pas. Les danseurs lisent des livres – des gros livres rouges et dorés, les livres dont Laurent Pelly se souvient dans le programme du spectacle en expliquant que c’est le souvenir des contes de Perrault illustrés par Gustave Doré qui l’a marqué. Ils lisent ces livres et se croisent, s’enlacent dans jamais se percuter, se soulèvent – la danse est très classique. Cette scène est celle du rêve, aidée par la littérature. La fée elle-même, lorsque le décor bouge, est juchée sur une cheminée et lit un livre qu’elle reposera ensuite sur un tas de bouquins posés près d’elle. Le corps est compris comme une simple contingence matérielle alors que le centre de gravité des personnages se situe dans leur capacité à rêver, à se projeter dans un ailleurs, dans un rêve tant désiré qui est un rêve d’amour – oui, je sais, c’est un peu niais… mais il me semble qu’il s’agit d’une interprétation crédible de cette mise en scène.

Dans ce Cendrillon, le livre et les mots sont partout ; ils aident au rêve et le justifient aussi bien pour les personnages que pour le spectateur. Le rideau est une partie du décor qui s’ouvrira ensuite, porteur du début de quelques chapitres du conte. Le mot prend la place du décor, vient soutenir l’action. Et si le Prince Charmant n’a pas de nom, s’assied sur un fauteuil portant ces mots, c’est parce que l’expression est lexicalisée dans l’imaginaire féérique : pas besoin de plus.

Les mots portent le sens des situation. Ainsi, le décor du palais est le même que celui de l’hôtel particulier où vit Cendrillon, sauf que le fond de scène est remplacé par un double portail monumentale composé des lettres « portes du palais ». Les chaises sur lesquelles s’installent parfois les personnages portent leurs initiales. Le Carrosse est formé par… le mot carrosse (le C géant crée l’habitacle, les deux rr servent d’assise et le a de dossier). Les cheveux sont en costume d’un tissus imprimé d’un texte (une partie du conte là encore).

L’esprit du conte de fée est de créer une réalité alternative. La formule magique des contes de fées donne chair à la réalité. Le décor, lui, semble donc se payer de mots et donner toute son importance au livret plutôt qu’à la musique ou encore au jeu d’acteur. Un livret qui donne la part belle au conte !

L’opéra et le conte de fée.

Suis-je allé voir un opéra ou un conte de fée ? Cette mise en scène est pleine d’humour et ne trahit pas la partition de Massenet elle-même, qui reste donc très illustrative. D’ailleurs, à la fin, les protagonistes se réunissent dans une sorte de salut où ils nous expliquent en chantant qu’ils ont fait de leur mieux pour nous emmener dans un « pays bleu », un rêve sur scène. Je ne me résous pas à dire que le rôle de l’opéra est assumé, car même le personnage de la fée jouant au chef d’orchestre juchée sur une tour de livres géants renvoie encore une fois à la farce. Il y a quelque chose de baroque dans l’aller-retour entre la réalité quasi brechtienne de cette mise en scène et le pouvoir total conféré aux mots, renforcés par les avatars cités plus haut.

Alors, qu’est-ce qui nous pousse à aller voir cet opéra ? Quel sens cela prend-il dans l’économie globale de la culture actuellement ? L’Opéra de Lille assume un rôle de démocratisation en proposant des opéras plus accessibles, comme celui-ci : des opéras qui s’assument comme des divertissements de qualité, issus d’une histoire de l’opéra et de la musique classique et très inspirés de la culture collective (je n’irai pas jusqu’à dire populaire sans mener de recherche). Une telle mise en scène à tiroirs me donne une sensation d’avoir la possibilité de réaliser plusieurs niveaux de lecture avec l’aval du metteur en scène – chose assez rare dans un monde où le contrôle complet sur ses créations se fait sentir.

En mettant en scène ce conte de fée et en assumant les différents niveaux que j’ai essayé de mettre en avant, l’Opéra de Lille chercherait à dédramatiser l’opéra sans la trahir. Un tour de force que je trouve particulièrement réussi car non seulement ces différentes lectures peuvent s’effectuer les unes indépendamment des autres, mais également car elles peuvent se nourrir pour un spectateur qui, même sans les clefs de l’opéra classique, pourra se poser des questions sur une mise en scène qui se lit facilement – littéralement, oserais-je dire. Que l’Opéra de Lille ait en plus choisi ce dernier rendez-vous de saison pour programmer une journée porte ouverte prend tout son sens.

Ce Cendrillon mérite vraiment qu’on s’y attarde. Le plaisir divertissant qu’il procure se double d’un véritable plaisir interprétatif. Si l’on y cherche autre chose que la musique, il peut être à mon sens considéré comme d’une grande qualité, même s’il faut noter que la partition est servie par impeccable orchestre national de Lille et quelques voix dont on ne peut que louer la qualité.

Les technologies tactiles sont-elles humanistes ?

La profusion des écrans nous mène à naturaliser le rapport que nous avons à cette interface. La posture du corps, pourtant, est très importante face à celui-ci ; nul doute qu’une sérieuse étude serait intéressante à produire sur le sujet.

Ainsi, je voudrais citer deux cas qui me semblent déjà relever d’un embryon d’une telle étude et qui m’amènent à écrire ces quelques lignes en forme de demande de retour d’expérience.

 

Le smartphone : extension du bras ou du cerveau ?

Premièrement, l’utilisation d’un écran de smartphone pour écrire un message. Ceux qui me connaissent le savent : j’utilise un blackberry. Mis à part l’hérésie du dernier modèle (le curve, dont j’aime beaucoup la publicité ), ce sont des téléphones munis d’un clavier. L’écran, plus ou moins large, tactile sur certains, sert surtout d’interface visuelle lors de l’écriture.

Il y a donc trois éléments lors de la composition d’un message : le regard et le doigt (moi et mon message) ainsi que l’écran (l’autre et son message). Le message en tant que média est donc bien distinct de mon corps ou de celui figuré de mon destinataire. Par contre, en utilisant les pouces opposables plutôt que l’index monstrateur, m’a relation à l’appareil et à ce qui passe par lui est plus fort. Je m’investis en quelque sorte plus dans mon message. Il y a un phénomène d’aliénation et c’est le langage qui prend la force du corps: cette force n’est pas directement transmise à mon destinataire, elle transite et incarne mon message et l’appareil qui le transmet.

Lors de l’utilisation d’un iPhone, le téléphone ne joue plus ce rôle intermédiaire. Je montre mon message lorsque je le compose, je suis moins investi en lui puisqu’en le désignant je signale en quelque sorte sa préexistence. C’est le matériel, le média, qui le véhicule plus qu’il n’émane de moi. Le téléphone n’est pas incarné, il reste étranger au corps.

Puisque la zone de saisie est la même que la zone de lecture, celle-là même où j’imagine et incarne mon interlocuteur, celui-ci termine également par fusionner avec l’écran, avec le message, avec l’appareil : son corps est rendu invisible car le téléphone ne le représente pas. En effet lorsqu’avec un Blackberry j’écris un message en m’aliénant au téléphone, au moment où j’en reçois un celui-ci est porteur de la même charge symbolique d’humanité. Lorsque je l’écris avec l’iPhone sans cet échange particulier, le message que je reçois en est également dénué.

 

La tablette est-elle un lieu de projection mentale ?

Deuxièmement, l’écran de la tablette. C’est une zone importante d’interaction, qui met fin à l’intermédiaire de la souris ou du clavier ; ceux-ci avaient pour but d’aider à la projection du corps dans un espace plus petit que lui mais à la fois plus large que la zone où le geste s’inscrit.

Dans la tablette, il n’y a pas d’au-delà du geste. Celui-ci se suffit à lui-même, exprime sa propre finitude. Le corps face à la tablette perd de l’ampleur. Je crois que les postures qu’on pourrait pour le moment étudier (cela évoluera avec l’ergonomie des systèmes qui commencent déjà à réintégrer cet hors cadre – comme pour le Playbook) montreraient d’ailleurs ce repli, avec un haut du corps projeté vers l’écran, comme aspiré par celui-ci.

 

Avez-vous la sensation que votre écran à changé quelque chose dans votre rapport corporel aux activités numériques?  Assurément, les possesseurs de tablettes répondront que le rapport plus nomade au numérique se fait sentir dans l’espace domestique – au moins. Un rapport nomade mais décontracté pour mon cas : du canapé au lit et du lit aux coussins…

Et vous? Votre corps s’ouvre-t-il à de nouvelles postures?