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Imayana, la technologie pour découvrir l’histoire de Bordeaux.

A l’occasion d’un cours que je donnais à des étudiants d’un cursus sur la gestion du patrimoine à l’invitation d’Eric Bouhier, je suis resté voir le second intervenant, Thierry Barbier, présentant le projet Imayana, Bordeaux XVIIIe. Je n’ai donc pas pu tester in situ cette application, mais pour ouvrir le débat je voudrais en dire quelques mots ici.

L’expérience en contexte.

Thierry a commencé avec facétie en expliquant : « lorsque vous faites une application de réalité augmentée pour présenter le passé, cela revient souvent à faire de la réalité diminuée ». En effet, la réalité du paysage environnant a déjà été augmentée d’un siècle à l’autre, par de nouveaux bâtiments, de nouvelles perspectives. Il faut donc redessiner des paysages fictifs sur ces ajouts physiques – vous devenez presque un maitre uchronique en quelque sorte, si j’ose dire.
Bien sûr, nous étions dans les locaux de la Sorbonne et le test de l’application a été simulé bien qu’à Bordeaux il se fasse à partir du flux vidéo de la caméra de l’iPad. La simulation était très bien réalisée, il me faudrait savoir comment sur place elle se comporte – je ne peux rien dire sur ce point. Thierry a notamment expliqué que le GPS était une technologie qui donnait des résultats de géolocalisation relativement corrects sur les sites du XVIIIe siècle, grandes artères haussmanniennes du marquis de Tourny, mais que si le projet avait traité de l’époque médiévale la géolocalisation dans les venelles étroites n’aurait pas été aussi commode.
Thierry nous a également donné quelques éléments quant à l’économie du projet : son coût, 3,8 M€, a été porté à auteur d’1M€ par les entreprises partenaires et par des financements publics destinés à la recherche et développement pour le reste. Les budgets étaient variés : certaines briques telles que la création de modèles 3D ont couté plus cher (la reproduction en 3D du Château Trompette est estimée à 20 000 €). Si la synchronisation de la réalité augmentée a elle aussi été couteuse, d’autres techniques basées sur les marqueurs ont par exemple été développés à partir de briques open source. On voit ici qu’une flexibilité du projet peut permettre une rationalisation des coûts. Mais là encore, il faudrait en savoir plus pour se prononcer sur cet aspect. En tout état de cause, Thierry a voulu rappeler que de tels projets n’avaient pas pour vocation d’être rentables, car leur budget intègre une part énorme de recherche et développement – dans l’état actuel de l’économie culturelle et de l’équilibre financier qui soutient les projets d’applications, c’est le moins qu’on puisse dire. Cependant, j’aimerais ajouter que le touristique (comme celui de l’entertainment) a beaucoup à apporter aux projets culturels : lors d’une table ronde sur laquelle je reviendrai ici, les orateurs ont d’ailleurs mis en avant l’agenda Europe 2020 traitant des industries culturelles qui tente de faciliter la séparation des diffuseurs et des producteurs de contenus dans une nouvelle forme économique où le tourisme important en France pourrait permettre des taux de prise de nos contenus qualifiés bien plus importants qu’à l’heure actuelle.

Mais revenons à notre application. ici, le modèle est classique et ressemble à celui d’un audio guide : la tablette et son contenu sont en location à l’Office de Tourisme de Bordeaux au prix de 12€50, dégressif à mesure que vous êtes plus ou moins nombreux.

Comment faire cas des contingences matérielles ?

J’ai pu cependant apprécier quelques unes des fonctionnalités pensées pour faciliter la vie du visiteur pendant l’expérience et structurer son rapport aux contenus. Ainsi, les caractéristiques et possibilités de l’iPad ont été exploitées au mieux. Par exemple, une table d’orientation vient remplacer le flux vidéo augmenté lorsque la tablette est portée à plat devant soi. Pour faire découvrir cette fonction, ou à d’autres moments, des personnages réagissent aux postures du porteur de tablette (« vous n’êtes pas fatigué de porter la tablette en haut ? », « eh, tu ne te retournes pas ? Ce qui se passe ici ne t’intéresse donc pas ? »). Au-delà de ces éléments qui prennent en compte les outils embarqués dans l’iPad tels que le gyroscope, la boussole, etc, les limitations techniques ont elles aussi été gérées dans le scénario de l’expérience : par exemple la belle prairie devient une terre craquelée et sèche quand on bouge trop vite la machine. Incapable de calculer en temps réel des mouvements trop rapides, l’iPad a poussé les concepteurs à trouver des artifices visuels pour empêcher la saturation du processeur et faire comprendre par la même occasion au visiteur qu’il ne fallait pas réitérer cette pratique frénétique.

Pour plusieurs raisons, l’application n’est pas téléchargeable : on y accède après avoir loué un iPad auprès de l’Office de Tourisme de Bordeaux. Cela peut avoir des défauts, mais j’imagine qu’il y a aussi des avantages tels que la prise en main physique des personnes attirées par l’expérience mais qui ne possèdent pas d’iPad, voire qui en ont peur. Mais encore une fois, il faudrait voir la réalité du dispositif d’accueil sur place. En tout cas, au-delà des commentaires qui aident à la prise en main de l’appareil, d’autres dispositifs ont été pensés pour aider à sa manipulation à proprement parler. Ainsi, les expériences sont progressives quant au cadrage permettant d’augmenter la réalité : il n’est pas utile de suivre des personnages au début, et il suffit de se promener dans un paysage. L’interactivité du corps vient avec l’acculturation au numérique mobile – pour ce qui est des visiteurs qui n’en ont pas encore l’expérience. Une façon élégante de faire passer la technologie au second plan de la découverte culturelle sans pour autant en limiter les possibilités.

Des fantômes aux masques de pierre, qui eût cru que la visite eût été si interactive ?

Lorsque vous prenez l’iPad, une vidéo vous explique l’usage de l’application, puis un menu vous permet de commencer différents types d’interaction. Il vous faut alors vous rendre sur un site précis, mettre un casque, utiliser la caméra de l’iPad, puis éventuellement le poser à plat pour jouer : cela dépend. L’application et ses usages semblent très riches et même si le parcours est trop long par rapport à la visite moyenne des rues de Bordeaux (2h30 contre 1h30 en moyenne), le visiteur peut à tout moment interrompre ou passer la consultation d’un contenu.

Pour pallier cela, il existera bientôt un site consultable après la visite. Celui-ci donnera dans une deuxième version du projet, l’accès aux contenus mais aussi à certaines expériences sociales. Sur la base du jeu de rôle et du partage de photo de soi sur les réseaux sociaux (une méthode très virale comme on le sait, narcissiques exhibitionnistes que nous sommes), le visiteur pourra par exemple se prendre en photo en contexte dans les rues de Bordeaux au XVIIIème siècle après s’être habillé dans une penderie virtuelle. Ces photos seront disponibles sur le site après la visite. Au passage, non seulement le visiteur aura appris les modes et usages vestimentaires de l’époque, mais il sera aussi inciter à revenir sur son expérience après-coup : un mécanisme simple qui ne fonctionnera pas pour tous mais qui devrait ravir les plus engagés.
Dès à présent, la visite est déjà émaillée d’une importante quantité d’interaction et de contenus. En allant d’un point à un autre de la ville, vous y accédez en situation. Thierry a voulu justifier cette rupture dans l’immersion par la logique sécuritaire qui veut qu’un acteur culturel doit être suffisamment responsable pour ne pas vous faire circuler dans une ville le nez plongé dans un écran. Là encore, le pragmatisme à l’oeuvre dans la conduite du projet est à noter.

Lors de la présentation, nous avons vu des expériences variées : systématiquement, cette réalité augmentée apparait après avoir repéré la faille spatio-temporelle grâce à un jeu de chaud-froid. Le contenu sérieux est d’ailleurs souvent présent derrière un petit jeu, comme lorsque des mascarons (masques en pierre ornant les bâtiments) vous invitent à pénétrer dans la demeure du peintre Joseph Vernet : vous entrez dans le coeur de la machine bio-technologique en découpant une membrane organique, qui vous permet de voir des flux circuler. Une scénarisation proche du steampunk au fond.

Ailleurs, vous découvrez en plein air le paysage d’époque puis pouvez accéder à des contenus pédagogiques grâce à une table d’orientation dont j’ai fait mention plus haut. Des mascarons se disputent et dialoguent à travers les rues dans une autre partie de la ville. Des fantômes permettent d’accéder à des moments pris sur le vif de la vie mondaine de la ville dans un théâtre. Un tableau est rendu vivant par le fait de toucher les personnages qui le représentent pour là encore sentir le pouls de la ville de l’époque : par exemple, chaque personnage peut parler une langue différente, fournissant ainsi incidemment une information que ne donne pas la représentation picturale. Un élément du scénario qui m’a forcément particulièrement intéressé !

Lorsque le visiteur a fini son expérience sur chaque site, il peut retrouver un résumé de ce qui a été vu et ainsi consulter les contenus de manière plus documentaire.

J’ai vraiment été séduit par cette application ! Drôle et intelligente, elle semble donner accès aux contenus culturelle via une véritable expérience de la ville du XVIIIème siècle. Il est évident que pour réaliser une critique complète d’un tel projet il faudra que je me rende sur place, mais d’ores et déjà il me semble que la qualité de cette expérience est visible. Bordelais et touristes, n’hésitez pas à me faire part de votre retour !