Tagué: SocialMediaWeek

Social Media Week… Vous avez dit « empowerment » ?

Avec Coline Aunis, Sébastien Magro, Omer Pesquer et Réza Azard, j’ai participé le mercredi 15 février à l’une des tables rondes de la Social Media Week parisienne, modérée par Catherine Guillou. Cette expérience fut assez frustrante, même s’il est possible de se consoler en se disant que certaines questions ont été posées, certains points de vue exposés. (j’aurais l’occasion de revenir sur le contenu de mon intervention sur le blog de Sébastien)

En effet, afin d’évacuer ma frustration d’intervenant, je dois dire que nous avons été assez déçus par le contexte de l’exercice : la salle n’était pas équipée de wifi et nous étions donc privés de la couche dialectique habituelle que nous permet Twitter… Notre temps de parole a été réduit (enfin, pas tant le mien dans la mesure où j’ai été désigné comme le premier à parler) et les questions avec la salle ont tout simplement été supprimées.

Ces détails n’en sont en réalité pas… Ils sont assez symptomatiques de la façon dont les échanges sociaux sont habituellement dégradés par le manque de moyens dans nos institutions. Par habitude, la structure des expositions, des conférences, de la communication de manière générale, est pensée de telle sorte à mettre en valeur un savoir légitime qui se voit au mieux complété par ces échanges sociaux – si le temps, les finances, le contexte le permettent…bref, si par miracle c’est possible.
J’eusse aimé que nous fussions en capacité d’inverser la logique de cette présentation… Mais nous avons su trop tard, n’étions pas certain les uns les autres de ce que collectivement nous aurions fait, et surtout nous ne voulions pas, l’un ou l’autre, se voler la parole. J’avais parlé en premier, sans être interrompu : lorsqu’on nous annonçât un temps de prise de parole global écourté, quel droit aurais-je eu de leur proposer d’écourter le leur au profit de la salle ? Eh, oui, les règles de savoir vivre sont les premières règles dont il faut se méfier lorsqu’on veut mettre en place des structures d’échanges communautaires : elles sont là pour légitimer et renforcer les structures en place. C’est le cas dans les échanges interpersonnels, mais aussi dans les échanges hiérarchiques (au sein ou avec les institutions).
Il faut le dire : nous avons raté l’empowerment que nous aurions dû produire alors… Nous, qui étions censés en parler ! Nous avions trop à dire, trop à faire, trop à expliquer, trop de pédagogie en stock pour ne pas l’exposer. Nous fûmes incapables de nous sortir de notre carcan ! Comment penser que nous serions capables de mettre en place des dispositifs pour que les autres soient en position, eux, de se sortir des leurs ?!

Le deuxième élément dont nous aurions dû nous méfier ? L’envie de vouloir transmettre un savoir. Je ne vais pas la jouer foucaldien et exposer la notion de savoir-pouvoir… mais quand même, c’est un peu l’idée. Nous avons de l’expérience dans le domaine, nous avons le loisir de produire une analyse sur nos pratiques et celles de nos collègues, le sujet de notre travail est le public… Bref, tous ces éléments nous mettent dans une position légitime de transmission, c’est-à-dire établissent autour de nous un dispositif de pouvoir. Le savoir que nous pensons devoir transmettre est forcément figé, puisque la transmission elle-même se base sur un objet à passer, un état des choses. Ceux d’entre nous qui faisons bien notre travail de museogeek (et ils étaient nombreux à cette table) savent combien nous avons à coeur de ne pas rester sur ces états figés ; mais c’est là une attitude dont nous ne pouvons pas faire profiter les auditeurs de notre table ronde – il faudrait pour cela qu’ils nous suivent, il faudrait qu’ils deviennent des amateurs… Il eût donc fallu que nous préparions notre conférence en réfléchissant un peu plus à ce que le dispositif de monstration qu’on nous proposait signifiait. Au contraire, avec toutes les réserves que nous avons pu émettre sur l’organisation de cette rencontre, nous avons tête baissée tenté d’aménager ce qu’on nous proposait, sans tenter d’utiliser les interstices laissées ouvertes par le flou de cette organisation.

Est-ce le troisième élément dont il faut se méfier dont nous avons été victimes : le soucis de garder une position digne d’être écoutés, invités de nouveau à nous exprimer ? Avions-nous peur de ne pas être entendus et compris par le public ? Je ne sais pas. Toujours est-il qu’à aucun moment nous n’avons remis en cause de manière globale le petit système dans lequel nous étions enchassés. Nous n’avons pas réussi ou pas voulu repenser les pouvoirs qui s’imposaient à nous.

Par twitter, j’ai eu cet échange avec le compte officiel de la SMWparis, suite à un check foursquare publié sur twitter :
@gonzagauthier : Au café, après la conférence on fait les échanges dont on nous a privé au #SMWparis #visiteur20 (@ Théâtre du Rond-point)
@smwparis : Ns vs avions prévenu que nous devions fermer le Petit Palais à 18h au plus tard, vs n’en avez pas été privé.
@gonzagauthier : oui, prévenus en arrivant de la fermeture, et prévenus de l’absence d’échanges pendant nos interventions. Un peu tard donc.
//
@smwparis : Le petit Palais est un monument historique, cela ne vous aura pas échappé ; )

L’argument avait déjà été donné : préférer un lieu prestigieux à un lieu pratique. Mais pourquoi ? Quel avantage, si ce n’est produire des avatars de la légitimité que toute conférence cherche à acquérir ?
Je n’ai pas assez assisté à cette semaine d’échanges… mais notre petite table ronde représentait assez bien la façon dont le terme d’empowerment est pris comme un fétiche, quelque chose dont on parle pour sortir de l’embourgeoisement que nous offre la professionnalisation et la reconnaissance publique des pratiques sociales. Il ne faudrait pas qu’il soit ainsi récupéré, vidé de son sens par un emballement rhétorique qui donne de belles choses à entendre, mais aucune à mettre en pratique. Sauf peut-être des versions un peu dégradées, étudiées et disséquées de conférences en conférences.

Pour le moment, les vrais lieux d’empowerment sont les endroits où on ose expérimenter, les micro résistances qui s’effectuent à différentes échelles aussi bien au sein de certaines institutions parisiennes (j’en connais, et j’ose croire que parfois je le réalise aussi) que des plus petites institutions de province. Aussi bien dans des projets portés par des individuels que des professionnels indépendants.
Je souhaite ardemment qu’aucune nouvelle structure ne vienne recomposer un cadre de légitimité, ne norme les échanges aussi bien professionnels que commerciaux de la communauté des museogeeks. Pour ce faire, nous avons déjà un tas de grandes messes qui cherchent à défendre leur légitimité plutôt que les possibilités réelles d’empowerment. Peut-être en avons-nous besoin pour nous justifier auprès de nos hiérarchies… mais nous n’en aurons jamais besoin pour parler entre nous. Là, se situe l’empowerment.