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L’institution culturelle sans le numérique ? Sérieusement ?

Ce billet fait suite à mon intervention dans le cadre du Colloque de l’AVICOM, à Montréal. Malheureusement, le dispositif que j’avais proposé à la suite de la publication de ma note d’intention n’a pas pu être tenu, faute de pouvoir réunir suffisamment de réactions écrites (beaucoup m’en ont fait par à l’oral – cette culture a encore de l’avenir malgré les twittes !)
L’intervention durait 15 minutes. Je ne vais pas vous faire croire que j’y ai dit tout ce qui suit. Mais la trame y était je crois – je préfère vous faire partager la version entière. Pour les curieux, je tiens à préciser que cette conférence avait été rédigée avant le lancement de nouveau site internet du Centre Pompidou (ceci étant précisé à toutes fins utiles).

Introduction :

Actuellement, le secteur culturel français doit faire face à des évolutions qui conditionnent son avenir. Il n’est même pas nécessaire de parler des enjeux politiques actuels qui font suite à l’alternance au sommet de l’Etat, dont on aurait pu penser qu’elle redessinerait à terme le paysage de l’action culturelle. Les perspectives des bouleversements à venir, entamés depuis plusieurs années et reflétant inévitablement le sens global de nos sociétés occidentales, sont largement suffisants à dresser le panorama nécessaire à la conduite de ce petit exposé.

Car, un fait essentiel préside à ce que le numérique prenne de plus en plus de place dans les structures françaises : l’injonction à la recherche de fonds propres. Comme dans le secteur universitaire français par exemple, cette nouvelle économie est le reflet d’une nouvelle stratégie de gouvernance globale : l’université doit maintenant se financer de manière « autonome », nécessitant une « autonomie » nouvelle dans sa gestion. La culture ne sera pas en reste. Si les dispositifs nécessaires à cette « autonomie » n’y ont pas encore pris place, nul doute qu’ils seront inventés (importés ?) dès qu’ils deviendront absolument nécessaires – l’entre-deux actuel n’était pas propice à la prise de décision rapide.

Que l’on soit partisan ou non de cette gouvernance à venir, il est un fait : le secteur culturel va devoir se construire avec un demi-frère qui a déjà pris des dispositions quant à sa survie en milieu concurrentiel : le secteur de l’entertainment. Sa part d’héritage du au secteur de l’économie de marché lui donne un avantage non négligeable d’innovation qu’il nous faut réussir à acquérir en peu de temps.

Entre 3D, Tv connectées, transmédia, livres numériques, apparitions des smartphones et tablettes, etc. qui pourra nier que cette inventivité se trouve du côté du numérique et au coeur de l’expérience utilisateur ? Voilà le défi que devront relever médiateurs, conservateurs, administratifs, artistes, galeristes, et autres gens d’une culture dite « légitime ». Eh, justement ! Le mot « légitime » est l’héritage de la structure bourdivine de la culture française, de Malraux à Mitrerand en passant – avouons-le – par Lang. C’est par cette façon de penser le secteur de la culture qu’il nous faut commencer – c’est par là que les réseaux sociaux nous aident à agir.

Permettre le re-empowerment

Je dois l’avouer tout de go, mon introduction s’inscrit dans un contexte historique bien plus large : celui de la République. La construction révolutionnaire du musée français, basée sur des dogmes bourgeois et des principes d’universalisme, a essaimé si fort et si loin dans le monde occidental que ses avatars seraient presque difficiles à distinguer s’ils n’étaient pas teintés des particularismes locaux et adaptés aux objets exposés (la moindre des choses, au fond). Le projet politique a presque disparu derrière les règles toujours plus nombreuses qui doivent présider à la conservation et à la monstration ordonnée des œuvres.

Pourquoi les choses évolueraient-elles à présent ? Comment cette narration, tout à coup, serait-elle perturbée ?

Je me fais souvent moquer par certains lorsque je le rappelle, mais il ne faut pas oublier que même en 2012 de nombreux musées n’ont pas encore de site web. Pas même un site vitrine. Les sites de grandes institutions qui brillent par la qualité de leurs accrochages ou de leurs expositions sont parfois encore cantonnés à la rubrique « culture » d’un site municipal. Un fossé immense se construit sur le plan du développement numérique entre ces structures et d’autres, plus ambitieuses en ce domaine, qui explorent les possibles d’un monde numérique – voire d’un réseau pervasif en devenir – et développent des projets structurants. Ces grandes institutions sont bien évidemment – et c’est une profonde tristesse que de le dire – principalement celles qui ont les moyens d’investir. D’autres structures plus petites ayant des visions tout aussi intéressantes du numérique investissent plutôt les réseaux sociaux. Dans ces deux cas, il s’agit souvent d’une volonté émanant des deux extrêmes de la chaine de travail des structures culturelles : la volonté de s’impliquer dans les réseaux sociaux est immanente, en lien avec la connaissance empirique des publics, tandis que le besoin de digitalisation de l’institution culturelle est un phénomène descendant, répondant à la hiérarchisation des prises de décisions politiques.

Cette digitalisation de l’institution culturelle est un processus long et complexe dont la réussite dépend de sa capacité à innerver l’ensemble de la structure. Cet impératif justifie à lui seul que, contrairement à ce qu’il eut été agréable d’imaginer lorsqu’on connait bien les cultures numériques fortement décentralisées, les injonctions de digitalisation des processus culturels viennent du haut de la hiérarchie. Cela est en fait tout à fait bénéfique pour les structures anciennes qui souhaitent évoluer – gageons que les structures nouvelles (oseré-je citer la Gaité Lyrique ?) sauront inventer des modes de gouvernance alternatifs lorsque celles-ci ont des ambitions numériques.

Le Centre Pompidou s’est engagé dans un tel processus depuis la présidence d’Alain Seban. L’ambition numérique a été hissée au rang de « projet stratégique », donnant un souffle extraordinaire à celle-ci. Et, croyez-moi, ce soutient était nécessaire. J’ai déjà eu l’occasion de dire que pendant les 3 années durant lesquelles ce projet a fait l’objet d’un véritable travail transversal entre les équipes  du Centre Pompidou, l’envie de numérique a remplacé la peur du numérique. Je crois que notre environnement et notre culture particulière, voulue dès notre ouverture en 1977, a facilité cette approche numérique transversale : même si les années ont renforcé une structure contraignante, nous n’avons jamais perdu de vue le dessein d’un culture qui ne souffrirait aucune frontière dans sa façon d’apparaître au public.

Le projet du nouveau site internet a été structurant pour la digitalisation du Centre Pompidou qui est à venir. Car ce projet est à mille lieux du « site vitrine » que je citais plus haut : il s’agit de mettre en ligne tous les contenus du Centre Pompidou produits à destination des publics. Imaginez le travail ! Depuis les archives jusqu’aux réserves en passant par les bases de données ou les étagères stockant des productions vidéo, des dépliants d’exposition, les maquettes du concours d’architecture, les grands moments du Centre Pompidou comme ses petits événements faisant la diversité de notre programmation… tout cela a du être numérisé ou re-numérisé lorsque les formats étaient devenus obsolètes. Mais ce n’est pas tout : il a fallu libérer les droits d’une production dont les auteurs sont souvent encore en vie ou pour lesquels les ayants droit ont tout pouvoir.

Cette immense production et celle à venir ne pouvait pas être simplement mise à disposition des publics sans que nous nous souciions de la façon dont ils allaient pouvoir y accéder. La structuration de ses données en sémantique a alors présidé à la construction du projet – et entrainé des chantiers techniques, des chantiers d’indexation et des changements de pratiques là aussi très nombreux.

Cela peut paraitre simple, résumé ici en quelques phrases. Mais le chantier est énorme et engendre des défis incommensurables. Le premier d’entre eux était de faire comprendre aux programmateurs que ce temps investi dans le numérique allait réellement profiter à toutes leurs missions – pour ne citer que le musée : aux missions de conservation, de monstration et de développement du fonds.

L’originalité du projet du Centre Pompidou était de ne pas se cantonner à la chaîne finale. Il fallait à la fois considérer les forces internes et les publics tout en respectant l’esprit du Centre Pompidou. Des choix difficiles ont été pris pour cela, comme celui de ne jamais produire à destination seule de ce site internet ou même de ne pas éditorialiser cet espace. Une idée qui a permis de garder à l’esprit que le numérique n’était pas une fin, mais bien un outil au service des publics fréquentant notre institution.

Un outil, oui : rien de plus – avec toute la noblesse, la savoir-faire et la complexité que cela sous-entend. Il possède une forte composante technique qui a nécessité un travail d’interfaçage complexe avec toutes les équipes du Centre Pompidou. Comme nous travaillions directement avec leurs données, ces équipes ont été des relais essentiels du développement de ce projet et, de proche en proche, se le sont approprié.

« Les données ». Voici l’autre point essentiel de ce projet ! C’est un enjeu global qui a été traité dans celui-ci. Certes, celles-ci ne sont pas encore libres dans notre cas. Elles ne sont pas exposées – les contraintes techniques et juridiques étant trop fortes pour que ce chantier soit mené de front avec les autres. Cependant, nous nous sommes mis en mesure de les rendre accessibles dans peu de temps à nos publics. Cette démarche est essentielle à ce que ceux-ci puissent reprendre le pouvoir sur ce qui est produit pas l’institution. Il ne s’agit pas seulement de montrer, mais vraiment d’en permettre la saisie.

En attendant, le fait de mettre ces données à disposition des publics ne suffisait pas. Nous avons également voulu mettre en place une interface poreuse, qui permette aux publics de réagir à ces données. Cette interface n’est pas suffisante en soi et nous avons mis en place là encore des dispositifs qui permettront son évolution rapidement. Il faut imaginer également comment estomper la frontière, tout en profitant de sa vivacité et de sa créativité. Car, toute la vitalité que porte le numérique en ce moment vient de la rupture du sentiment d’impossible face à l’institution. Le politique a déjà pris acte de cela (je ne me prononcerai pas ici pour dire s’il l’exploite à sa juste valeur ou non). L’entertainment exploite le nouvel imaginaire dans des productions qui atteindront bientôt une perfection formelle difficile à égaler. Le monde de la culture doit prendre acte du fait que le web de demain, zone d’autonomie permanente couvrant les territoires du social et des données, donne la possibilité aux publics d’enfin jouir du pouvoir que celui-ci rêvait de leur passer. La culture qui libère doit d’abord être une culture libérée et accessible.

Aider à la mise en place d’un agenda culturel.

Le projet que je viens de citer est le reflet d’une volonté politique descendante. Il est l’illustration que les nouveaux projets numériques peuvent prendre en compte l’évolution de la médiation jusque dans l’organisation interne de l’établissement culturel et la mise en place de sa stratégie. Je crois que c’est l’étape ultime du numérique dans les institutions culturelles, l’étape ultime des politiques culturelles. Je ne sais pas si le Centre Pompidou y arrivera – il faudrait qu’il ne soit pas seul. Mais en tout cas, la tentative est belle.

Faut-il encore que nous donnions les moyens aux publics de saisir ces occasions. Le dialogue qu’entretiennent les publics avec les institutions culturelles répond exactement aux mêmes règles qui régissent les échangent sociaux : a priori, c’est un rapport de force. A priori seulement, car la médiation nous prouve que ce rapport de force imposé par la possession du savoir peut être atténué.
Le numérique nous permet d’aller plus loin. Il a démontré avec des projets comme Wikipédia – pour ne citer que lui, mais ils sont légions – que le savoir n’existait pas que d’un côté de l’écran.

Le savoir, lorsqu’il était imprimé, se diffusait. Mais ces feuilles serrés, alignés, tenues à bout de bras devant nos yeux, occultaient notre regard, empêchaient celui qui composait de voir celui qui lisait. L’écran lui a rendu la vue. D’ailleurs, on ne sait plus bien si un internaute se trouve devant ou derrière son écran.
Je ne vais pas cacher les mots : je parle bien de savoir situé. Alors que cette idée naissait, naissaient également les premiers réseaux. La structure postmoderne puis hypermoderne des outils numériques vient bouleverser notre façon de comprendre les phénomènes culturels et implique obligatoirement une évolution de nos modes de médiation. Lorsque la production des contenus peut de fait émaner de n’importe où et se diffuser rapidement, quelle que soit sa qualité, il ne s’agit plus de l’empêcher mais bien de l’accompagner. L’action culturelle envers les publics ne peut plus se contenter de leur montrer ce qu’est le bon goût, ce qu’est la bonne histoire de l’art, ce qu’est la culture légitime : elle doit à présent aider à structurer, accompagner la monté en qualité des pratiques des publics. Je me souviens des cours de sociologie de la culture où l’on cherchait à me faire comprendre que les musiques de chambres participaient de la culture non légitime mais pouvaient y amener. Aujourd’hui, nous devrions enseigner que les pratiques de chambre sont des pratiques créatrices. Nous pouvons les laisser prospérer de manière anarchique et espérer qu’elles mènent à quelque chose. Mais il faudra à un moment ou un autre évaluer ce qu’elles ont permis d’accomplir. A ce moment, nous nous rendront peut-être compte – je l’espère – que ces pratiques se sont fédérées et qu’elles ont constitué un contrepoint à cette culture enfermée dans les enceintes de nos musées. Des sortes d’institutions, moins rigides, agencées les unes aux autres sans créer de légitimité afin de rester vivaces, se seront constitué sur la base de ce que nous nommons « savoirs situés ». Des savoirs situés qui existent d’une communauté à l’autre, communiquent à travers les données et les réseaux.

Le Centre Pompidou s’est engagé dans cette démarche, mais il nous reste encore du chemin. Plusieurs exemples illustrent plusieurs tentatives de différents niveaux.

Nous avons d’abord mis en place les livetwittes (par exemple dernièrement sur Matisse). Cette pratique encore controversée auprès de mes collègues de la médiation consiste à vivre une expérience de contenus et à la partager instantanément. Le simple fait de structurer sa pensée plutôt que de la laisser vagabonder via le sentiment permet de revenir au contenu de manière ténue. Bien sûr, ce système est imparfait et il faut qu’il acquière notamment un devenir pérenne. Mais à l’heure où les institutions culturelles ont un devenir média évident (nous pourrions en reparler), placer le spectateur à la place d’un émetteur permet de déjouer cette focalisation et cette orientation du regard.

Nous avons produit des interfaces d’accès aux contenus ludiques, où la présence physique autant que numérique permettait de renforcer ce réseau. Ces interfaces étaient souvent événementielles jusque maintenant, mais à n’en pas douter elles sont des prototypes de futurs dispositifs pérennes. Ainsi, j’aimerais citer La Bataille du Centre Pompidou, jeu sérieux produit avec Florent Deloison – artiste travaillant notamment sur les jeux vidéos. La Bataille du Centre Pompidou consistait en un jeu d’arcade du type « Space Invador » dans lequel les joueurs téléguidaient collectivement un personnage détruisant les extraterrestres venus mettre à bas le Centre Pompidou. La manette de jeu était tout simplement Twitter qui, en plus de l’interface physique constituée par les écrans dans le Forum du Centre Pompidou était une interface où l’échange et la valeur pédagogique du jeu avaient lieu. Car le but était de sauver le Centre et de participer à sa reconstruction symbolique après l’attaque des extraterrestres en reconnaissant les œuvres qui se dessinaient derrière une reproduction du bâtiment. Ce dispositif nous a permis de comprendre comment nos communautés numériques pouvaient se transformer en visiteurs physiques, quels étaient les leviers d’attraction, et surtout la composition d’amateurs d’art parmi nos communautés.

Justement, la façon dont nous constituons notre communauté, en nous basant sur les contenus et les thématiques nous permet d’anticiper également la montée en puissance de ces savoirs situés. Pour ce faire, il nous faut croiser des outils de marketing, de sociologie et de médiation, dans une perspective hypermoderne : se baser sur la compréhension des dynamiques individuelles (monstration de soi sur Facebook, personnal branding, liens communautaires, exploitation des temps de loisir, etc.) et des dynamiques collectives (création d’un public réactif, engagement, pratiques collaboratives, déplacement des centres d’intérêt et des interfaces, etc.). Nous devons travailler sur un axe que la médiation traditionnelle nous reproche souvent : celui du renforcement de notre communauté, qui passe principalement dans un premier temps avant celui de son élargissement. Car, pour le Centre Pompidou, il est relativement facile de recruter dans cette communauté grâce à l’effet de marque – mais il est plus difficile de transformer l’attention en engagement. Il nous faut donc mettre en place des outils dont la base se comprend par les pratiques du CRM mais dont la finalité se rapproche des buts de la médiation, mobilisant tour à tour les concepts de marque et de contenus dans une relation triangulaire où le troisième pôle est celui des publics.

Nous avons tenté de synthétiser ces expérience dans une approche transmédia lors d’un jeu intitulé « Éduque le Troll« . Ce jeu initié à l’occasion de la venue de l’éminent théoricien du transmédia, Henry Jenkins, au Centre Pompidou proposait aux publics de suivre un jeu de piste à clefs à travers plusieurs lieux et plusieurs média. Il permettait ainsi de reconstituer une adresse postale à laquelle envoyer la preuve que le transmédia existe à un personnage sceptique (un troll). Cette preuve était symbolisée par une photo qui ne pouvait exister qu’après avoir consulté tous les médias impliqués dans le jeu (web, conférence, cinéma, presse, radio). Ce jeu transmédia était un méta discours et, honnêtement? C’était prématuré. Cette tentative nous a en effet montré que les publics n’étaient pas encore habitués à cette nouvelle façon d’aborder la culture. Cette tentative nous a montré qu’il n’y avait pas une rupture nette entre des générations précédentes et des générations actuelles face à la culture ; elle nous a montré que si rupture et incompréhension il avait, c’était au sein de nos institutions. Car le jeu a trouvé un écho auprès des spécialistes, mais il a surtout manqué de relai (avouons aussi que son principe était un peu complexe pour une première). Nous avons besoin, praticiens du numériques, de nous  nourrir des expériences de médiation qui nous ont mené à faire ce que nous faisons aujourd’hui. Nous avons besoin que ceux qui ont construit la culture d’aujourd’hui évaluent leur travail et nous en donnent les clefs. Le problème que nous avons à résoudre pour que les publics enfin puissent évoluer dans leur pratique et leur rapport à la culture est celui d’une fracture médiative entre ceux qui sont devant des écrans et ceux qui sont devant des livres.

Repenser les perspectives de l’action culturelle.

Jusqu’ici, mon discours a porté sur deux éléments : la façon dont l’institution structure la stratégie d’une nouvelle action culturelle décentralisée, puis la façon dont elle pouvait aider les publics à prendre part à celle-ci. Ma troisième partie va être prospective : faut-il préciser que je décrivais plus haut des situations qui se mettent en place, et non des projets déjà aboutis ? Ainsi, lorsque je vais parler de ce que pourra devenir le pouvoir des publics, je parlerai forcémet d’un futur, d’un possible.

Précisons donc d’entrée de jeu que nous avons besoin d’encourager ce possible. J’y crois fortement, sans que cela se base sur un dogme ou un prétendu sens de l’histoire qui nous forcerait à plus de démocratie alors que l’humanité gagnerait en maturité ou en sagesse. Non, je crois que la décentralisation des savoirs et la prise de pouvoir des publics que j’ai cités plus haut doivent être encouragés car nous sommes à une période où la brassage culturel intense détruit les structures issues de la modernité. Une tension politique s’exerce sur nos sociétés construites pour une pensée locale et une diffusion de l’esprit propre aux régimes des XVIII et XIXème siécles ayant forgés ceux du XXème. Nous aurions le choix et pourrions résister aux évolutions qui s’annoncent, refuser la dispersion des savoirs, la diffusion des pratiques… nous le pourrions, mais ce serait une erreur. Comme je le disais tout à l’heure à propos des données, pensons en disciple de Machiavel et assurons-nous de contrôler et d’encourager ce qui pourrait nous dépasser si nous l’ignorions. C’est à ce prix que nous réussirons à faire fructifier ce pour quoi nous nous sommes battus depuis des années, des décennies, des siècles : le patrimoine culturel occidental (je me refuse à l’appeler mondial tant nous avions jusqu’ici du mal à sortir de l’occidentalocentrisme malgré quelques tentatives notables et réussies).

Justement : qu’avons-nous fait durant ces décennies ? A nouveau : nous devons évaluer ce qui a été produite jusqu’alors. Cette évaluation doit perdurer et s’intensifier également pour les nouvelles pratiques. Il n’est pas imaginable de demander à nos prédécesseurs (je ne parle pas de génération) d’évaluer leurs pratiques sans évaluer les nôtres. Si la société numérique telle que nous la connaissons est un panoptique complexe dont il faut se méfier, nous pouvons aussi nous en jouer : utilisons les outils de la traçabilité pour comprendre quels sont les pratiques culturelles, pour évaluer les dispositifs que nous mettons en place par rapport à celles-ci, aux missions inchangées de nos établissements culturels et au nouveau contexte décrit plus haut.

Avant de conclure, j’aimerais que nous prenions le temps de nous intéresser à deux projets dont un ami et néanmoins collègue m’avait fait remarquer qu’ils étaient très proches. Ces deux projets sont « Fantasmons le Centre Pompidou » et « Muséomix« .

« Fantasmons le Centre Pompidou » s’inscrit dans notre démarche de co-construction : après quelques mois de développement de notre nouveau centrepompidou.fr, nous avons dû faire des choix quant à ce que nous aurions les moyens de développer dans le temps court qui avait été celui choisi pour la mise en place de cette première brique de l’écosystème numérique du Centre. Le constat était simple à établir : pour mettre en place une politique thématique et de contenus, il nous faillait des contenus ! Je ne reviens pas sur la démarche de mise en ligne des contenus citée plus haut. La priorité établie, nous avons également pris en compte l’échec relatif de certains projets communautaires d’autres institutions et avons décidé que nous ne voulions pas imposer des outils sociaux et des outils de contenus à nos publics : il fallait qu’ils nous en expriment les besoins de manière à les adapter à leurs usages. Le projet « Fantasmons le Centre Pompidou » est entièrement tourné vers l’expérience utilisateur des contenus et vient incarner la co-construction : les publics sont invités à réagir et à utiliser le module collaboratif expérimental déjà en place sur le nouveau centrepompidou.fr, ce qui mène à une étude de notre part. Adossé à ces données issues de l’expérience utilisateur, nous menons des ateliers avec des professionnels, des amateurs, des grands publics : à partir des ressources du nouveau centrepompidou.fr, nous étudions quelles sont leurs pratiques, quels sont leurs besoins. Enfin, d’autres groupes de discussion sont menés avec des professionnels et amateurs venus des horizons thématiques définis dans le cadre de notre activité (par exemple et de manière non exhaustive : l’open data, l’art contemporain, les phénomènes collaboratifs, etc.) : dans ces groupes, ils viennent avec leur histoire vis-à-vis des interfaces numériques et des institutions culturelles et nous en font part de manière à ce que nous imaginions des nouveaux projets, en collaboration avec nos collègues en interne. Tous ces dispositifs seront évalués par un laboratoire de recherche qui nous aidera à définir des cahiers de charges en vue de produire des prototypes qui serviront plus tard à mettre en production des outils ainsi co-construits.

Muséomix, quant à lui, investit depuis deux ans de manière annuelle un musée et tente de répondre aux nouveaux besoins de médiation en ces lieux : l’idée est de mixer les pratiques à travers la venue de non-professionnels pendant 3 jours de workshops intense. Là aussi, la recherche de l’interaction avec les équipes des musées venus accueillir des personnes extérieures est un but issu des pratiques web.

Je ne vais pas revenir sur les différences nombreuses entre les projets mais plutôt sur une ressemblance : elles permettent de repenser les perspectives de l’action culturelle. Elles ne se demandent plus ce que le numérique peut apporter, elles ne considèrent même plus le numérique comme une fin en soi. Non, elles prennent actes des changements que le numérique a apporté dans la gouvernance culturelle et parmi les plus importants : la nouvelle place des publics comme des acteurs des outils leur étant destinés.

L’art contemporain est plein de ces artistes qui ont tenté de transfigurer le banal ou de renvoyer l’art dans le quotidien. Je crois qu’ils ont échoué : c’est la culture, tout entière, légitime ou non, qui a envahi l’art. Et c’est l’institution muséale, gardienne du temple, qui va s’en faire le relai le plus efficace pour peu que ses membres ne prennent pas peur. Et, si je me réfère à l’exemple du Centre Pompidou, j’ai espoir que cette peur du numérique va être remplacée par une envie du numérique.

Pourrait-on comprendre Magritte comme un artiste contemporain ?

L’entrée est étrange, comme dans tous les musées du mont des arts a Bruxelles. Au troisième étage, deux grands portraits de Magritte (l’un en train de peindre et l’autre de face, au visage) encadrent une vue surplombant Bruxelles devant laquelle sont disposés des dépliants: la traduction en 4 langues de chacune des citations du musées qui sont inscrites « pour ne pas trahir » dans leur langue originale. Nous voici plongés dans l’exception culturelle belge, quelque chose que la démocratisation républicaine de la culture à du mal à penser. Un peu d’exotisme d’outre Quiévrain, je peux commencer ma visite du musée Magritte.

La première salle, plongée dans la pénombre est emplie de musique des années 20. Un dispositif de rétroprojection sur un pupitre incliné projette les partitions des musiques diffusées (des extraits). Au mur, incrustés, des écrans diffusent quelques documents d’archives en boucle, zoom sur des photos d’intérieur pour montrer les oeuvres exposées, etc. le tout classé par thèmes et périodes. Une sorte de flux documentaire est proposé visiteur pour compléter l’ambiance de la salle. Une énergie particulière charge le lieu et renvoie peut-être à celle de l’époque, qui a vu l’artiste, comme beaucoup à l’époque moderne, s’essayer à de nombreux styles.
Des affiches d’époque côtoient les éléments biographiques, les lettres de l’artiste ou encore ses premières peintures, comme ces Baigneuses de 1921 issus de la collection de l’Université libre de Bruxelles qui ont déjà un cote surréaliste mais confinent fortement à la touche de Chirico, ou encore ce Portrait de Pierre Bourgeois de 1920 de la Collection de la Communauté française de Belgique (Musée des beaux arts de Charleroi) aux accents fauves, ou le portraituré occupe tout l’espace de la toile, prend un volume cubiste et un visage inquiétant, anguleux, dont on ne voit les yeux légèrement tournés vers le bas. A côté, un autre Portrait de Pierre Bourgeois de la même année et de la même collection est un tableau plein de couleur, quasiment abstrait (seul le titre permet de ratacher aux applats vifs de rouge, jaune bleu et quelques couleurs intermédiaires les volumes d’un visage).

Dès la fin de cette salle, on entre dans la pratique la plus connue de la peinture par Magritte, avec toujours beaucoup de documents d’archives en vitrine ou en vidéo.
Dans L’homme du large (1927) ou encore Les Muscles célestes (1927), on sent la préoccupation d’une sorte de mise en scène de la vie avec la présence concrète d’un parquet (complet ou partiel) et d’un autre espace l’entourant (on voit de toute façon le bord de ce parquet), simulant la pénétration des deux mondes et nous mettant doublement à la place du spectateur. Une brochure pour l’exposition « Magritte » à la Galerie Le Centaure de Bruxelles d’avril à mai 1927 reprend aussi le thème du rideau, du dévoilement.
Serait-il justifié de rapprocher ces espaces théâtraux superbement assumés d’une envie pour l’artiste de rentrer pleinement dans sa pratique artistique ? Il est en effet dans ce cas encore positionné, avec le regardeur, en dehors de l’espace scénique, de l’espace artistique.

Un autre rapport au corps de l’artiste peut-il se lire également dans cet autre tableau, Le sang du monde (1927) où l’on voit un réseau de veines bleues et rouge s’incruster sur des formes qu’on ne peut identifier, vaguement fleurales, sur fond de corail, qui rappellent aujourd’hui l’imagerie médicale ? L’artiste souhaite-t-il examiner la matière pour tenter d’en dégager le substrat de l’imaginaire ?
À côté, il est fait un rapprochement graphique et temporel avec Paysage de la même année ou un réseau similaire, très grossier, repose sur un corps féminin (siganlé par un code simple et fantasmé dans la présence de seins ronds, très écartés l’un de l’autre sur le buste), mais dont deux excroissances molles partent à la place de la tête. Ce réseau, marron dans un décor qui semble rocailleux et surplombé par une masse grise qu’on prendrait pour un nuage (mais qui ressemble objectivement plutôt à un rajoutis d’enduit se décroutant), fait alors penser plus à des branches sans feuille. L’interrogation sur le visage (Le Mariage de minuit, 1926) et le corps sans visage (Une Panique au Moyen-Age, 1927 et La fatigue de vivre, 1927) continue ensuite. Dans ces tableaux, la nature dispute le rôle de décor à l’espace scénique, dans une construction toujours très géométrique. Les thèmes se mêlent déjà et redéfinissent la place de l’identité et du sensitif dans le rapport au monde, proposent d’imaginer un ailleurs de la perception reposant sur les codes picturaux occidentaux (aucun exotisme pour tenter de dérouter un spectateur pourtant du même monde culturel).
J’entends un visiteur derrière moi: « putain, c’est bizarre« .

Dans la troisième salle, une série de petites photos, de portraits, d’autoportraits sont exposés dont une série de 1928-1935 intitulée La Fidélité des images dont on sent le travail préparatoire face à des scènes extrêmement non naturelles. Sur l’une d’elles Magritte feint de peindre sa femme comme il peindrait sur une toile. On pourrait dire beaucoup de ce geste et de la place de la muse (forcément féminine) face au peintre (forcément masculin) qui reprend le Pygmalion et se continue avec les peintures vivantes de Klein. Cette photo esquisse le travail sur le tableau « Peinture de l’impossible » de 1928 où cette fois-ci la femme est nue face au peintre en costume, certains de ses membres n’étant pas encore dessinés. Dans la vitrine, une photo présente Magritte pinceau et palette en main devant ce tableau. Mais la palette semble vide de toute couleur, il semble là encore s’agir d’une mise en scène.
Une citation de Magritte annonce dans l’espace suivant :

Le monde et son mystère ne se refait jamais, / il n’est pas un modèle qu’il suffit de copier.

Dans Les mots et les images de 1929, un travail à l’encre sur une feuille de papier classique, Magritte déroule en quelque sorte sa thèse picturale de la représentation du monde en l’illustrant par des petit croquis. Ainsi, l’un des première phrase est « Un mot ne sert parfois qu’à se désigner soi-même :  » suivi d’une sorte de bulle matérialisée par ses contours dans laquelle s’inscrit le mot « ciel ». Il y a là une volonté d’annoncer la toute puissance performative du langage et son caractère intangible, donnant à la réalité un caractère démonstratif et à la représentation une nature expérimentale. « Un objet rencontre son image, un objet rencontre son nom. Il arrive que l’image et le nom de ces objets se rencontrent » / « Parfois, le nom d’un objet tient lieu d’une image : » suivi d’un dessin d’un poing fermé, d’une boite fermée et d’une sorte de poire sur laquelle est inscrit le mot « canon » servant plus tot à illustrer le rapport arbitraire du nom à un objet lorsqu’il était rapproché d’une feuille.
Dans L’Usage de la parole de 1927-1929, ce mot canon est mis dans une bulle en relation avec « Corps de femme » et « arbre », donnant une clef pour la lecture narrative de la petite peinture, comme une description. On retrouve des considération purement picturales dans une autre phrase un peu avant le milieu de la démonstration, qui est illustrée par le dessin d’un pan de mur (jaune? ) en maçonnerie:

« un objet fait supposer qu’il y en a d’autres derrière lui »

Une autre illustration modifie la nature d’un trait unique composant le croquis depuis la gauche vers la droite : au début le trait incarne une série de lettres pour ensuite représenter le cerne d’un dessin : « Dans un tableau, les mots sont de la même nature que les images ». Puis, en écho aux interrogation sur le rapport des formes à la nature dans certains tableaux, on peut lire « une forme quelconque peut remplacer l’image d’un arbre » illustré par un croquis où l’on reconnaît des formes de Magritte.
Une démonstration plaçant un cheval, un chevalet sur lequel est dessiné un cheval et un personnage disant le « mot » cheval fait furieusement office de prélude aux célèbres travaux de Kosuth. « Les figues vagues ont une signification aussi nécessaire, aussi parfaite que les précises ».
Je me pose la question sur la lecture par Magritte des cours de Saussure. En tout état de cause, cette interrogation montre combien l’artiste a dû dépasser sa fascination de la scène, pour en défonstruire le paradigme fondateur dans tous les actes de la représentation du monde. Un peu situationniste, un peu déconstructionniste, l’oeuvre du peintre se détache du temps de sa création pour interroger les thèmes modernes, poste-modernes et hypermodernes qui justifient de son actualité et de mon plaisir à m’y confronter.

Dans la salle du deuxième étage, une note biographique m’apprend qu’à partir de 1930 Magritte travaille avec le Studio Dongo : il réalise des travaux publicitaires, ça m’étonnera personne compte tenu de ses préoccupations citées ci-dessus. La publicité et l’agitation-prop qui occupent sa pratiquent sont sûrement des mises en pratique de ses théories, une recherche de la force du langage (pictural autant que parlé). Mais aucun document d’archive ne vient confirmer cette volonté de la part de l’artiste…
Les travaux publicitaires de la première salle étaient sûrement les siens. Ils illustrent aussi le rapport de sa pratique artistique au contexte ou à son engagement politique, voire à son caractère iconoclaste avec la volonté provocatrice de sa période « vache ».

Une affiche pour le « Second Film and Fine Arts World Festival of Belgium » de 1949 montre une superposition d’un écran de cinéma, puis d’une tête de femme et d’un autre écran plus petit au niveau de son front. L’affiche place la pensée entre deux niveaux de matérialisme artistique, et compose dans l’affiche une dynamique un peu au dessus du regard d’ailleurs vide (alors qu’il s’agit de cinéma).
Une affiche qui sonne un peu comme un manifeste du monde d’après la modernité.

La lecture défendue (1936) présente un mot écrit comme à la craie sur un parquet, incomplet du fait d’un doigt énorme pointant une petite sphère scindée en deux et surplombant la scène de la hauteur d’un escalier représenté à la droite de cette inscription contre l’un des deux murs visible – et qui débouche sans issue sur le deuxième mur. La scène illustre par ses espaces clos une impossibilité cognitive, une voix de garage imposée par le manque de langage.
Je ne peux m’empêcher de penser que cette impossibilité du langage c’est en quelque sorte l’échec autant que l’enjeu de la psychanalyse, perdue dans un péril sociétaires qui deviendra hypermoderne: que pourra la psychanalyse quand le langage n’aura plus un sens symbolique fort, mais deviendra seulement un outil de communication?  Que deviendront les mythes collectifs lorsqu’ils seront fractionnés? Cette crainte, dans la pratique de Magritte, semble être mise de côté par sa pratique s’agit-prop, dans la même salle, où le politique sert de liant. À la lumière de ces suppositions,on pourrait alors relire l’interrogation sur la scène et l’espace comme la définition d’un lieu commun où l’action est menée. Mais aussi une scène qui force le spectateur à prendre position, comme toute frontière, et à se situer dedans ou dehors (l’artiste, lui, ayant choisi).

Le voyageur de 1937 présente une pratique que je ne connaissais pas Magritte, superposant deux toiles, l’une plus petite que l’autre et de couleurs différente. Un double encadrement pour un scène dans laquelle justement l’espace semble illimité (étendue d’eau dont l’horizon arrive bas sur le tableau, laissant la place à un ciel de la même couleur dans lequel trône une sphère composée d’un buste, d’un lion, d’un fauteuil, etc, inventaire exotique ou non). Le voyageur traverserait-il le monde en vain ? S’agit-il d’une conscience matérialiste de la finitude de l’humanité ?
Les mémoires d’un saint de 1960, avec les rideaux en cercle entrouverts dévoilant autant qu’ils emprisonnent un ciel et un horizon marin là encore très bas, renvoient en vis-à-vis à cette emprisonnement de l’infini, à l’illusion d’espace sans fin. Plus loin, mais en 1940, Le retour voit le ciel emprisonné dans une forme – fut-elle celle d’un oiseau.

Les travaux dits impressionnistes de Magritte, comme L’incendie de 1943 gardent une touche surréaliste. En effet, les arbres ressemblent à de grandes feuilles plantées au sol, et l’incendie est à comprendre par l’impression, la sensation laissée par les couleurs embrasées, mais le titre n’a rien de figuratif. A coté La cinquième saison de 1943 voit deux hommes presque sans visage passer l’un à côté de l’autre en directions opposées, tenant chacun un tableau figurant une forêt et un ciel, dont on a l’impression qu’il vont se heurter pour en composer un nouveau (la cinquième saison?).

Plus loin, un projet d’affiche pour la Centrale des ouvriers textiles de Belgique de 1938 fait penser à la dynamique constructiviste, et donne un esprit moderniste. On y voit la main, l’outil, le temps symbolisé par l’horloge. un autre est plus dans son style (nuage, colombe) tandis que deux suivantes  les hyrbident. Le dernier, d’ailleurs, reprend fortement les codes des affiches socialistes avec le drapeau rouge tenu par une main (le corps est hors champ) et structurant l’affiche par sa hampe. Une citation plus loin :

« La révolte est un réflexe de l’homme vivant »

Je termine le niveau 1 au pas de course faute de temps, mais je repère tout de même la répétition des motifs dans les tableaux de Magritte.
Le champ de l’orage de 1937 montre une pluie s’abattre en rase campagne sur un sol vert dont on ne distingue rien (peut-être des buissons et de l’herbe, c’est très flou) mais sur lequel semble posé un nuage. Par son titre, le tableau possède une atmosphère sonore et par la texture blanche et contonneuse du nuage, il prend un caractère doux.
L’art de la conversation de 1950, incrustant le mot rêve en pierre dans des formes abstraites de même aspect géométrique, devant deux personnes minuscules, pourrait presque être lu comme un prélude au street art autant qu’une référence aux constructions gigantesques du réalisme socialiste. Deux tableaux de 1961 L’empire des lumières montrent une rue paisible avec un réalisme puissant. Les maisons dans la pénombre sont éclairées par un réverbère bien que le ciel nuageux soit celui du jour.

Réalisée peu par hasard, cette visite du musée Magritte de Bruxelles m’a donc permis de me plonger un peu mieux dans son oeuvre et de comprendre combien elle peut être lue comme une pratique intellectuelle au croisement des enjeux des XIXe, XXe et XXIe siècles. À la fois sublime et prosaïque, la peinture qui s’expose sait se jouer des codes de la représentation avec d’autant plus de force qu’ils entrent en résonance avec leur déconstruction par le même, au sein du même oeuvre. A la base, j’appréciais plus l’oeuvre de son compatriote Delvaux, mais je rêve maintenant de revoir son oeuvre avec une grille de lecture nouvelle, comparant les deux artistes…